Ses poumons le brûlant à chaque inspiration, Luke Skywalker gravissait péniblement la pente rocheuse. A ses côtés, son neveu haletait aussi. Donc, ses difficultés ne venaient pas de son âge ou de son manque de forme physique… L’atmosphère de Munlali Mafir était trop légère pour des humains.

Derrière eux, les Krizlaws lançaient des aboiements perçants malgré l’air raréfié. Luke le savait, ces extraterrestres roses à peau lisse les talonnaient, les traquant à l’odeur.

Leurs grandes têtes ressemblaient à celles des rancors.

Soudain, Luke vit sept chasseurs émerger d’une arcade décorative. Ils se dirigeaient en hâte vers le tertre cérémoniel.

Trois autres enjambèrent une fenêtre et disparurent derrière une statue.

De petits yeux rouges, des bras minces terminés par trois griffes venimeuses, deux jambes puissantes faites pour sauter sur les proies, et des mâchoires extensibles capables d’engloutir une tête humaine…

Cela rappela à Luke qu’il valait mieux filer…

— Il y en a seulement dix ! fit Soron Hegerty, étonnée. (Elle haletait, continuant à marcher grâce à l’aide de Jacen.) D’habitude, ils sont toujours onze…

Le onzième Krizlaw fit son apparition à point nommé. Bondissant par la fenêtre, il arracha au passage les restes de l’encadrement, puis fonça vers le tertre.

Fatiguée d’avoir toujours raison, la xénobiologiste fit la grimace.

— Onze.

— Venez, Hegerty, dit Jacen. Il faut continuer à tout prix !

Luke le sentit augmenter subrepticement l’énergie de la femme grâce à la Force.

— Une équipe de chasse rituelle, à votre avis ? demanda le lieutenant Stalgis.

L’Impérial râblé se retourna et tira sur un des sept Krizlaws, le touchant à l’épaule.

La créature glapit de douleur, sans ralentir.

— Quelque chose… dans le genre ! haleta Hegerty.

Luke et Jacen échangèrent un regard inquiet. La xénobiologiste se fatiguait vite, et la crête du tertre était encore à bonne distance. Son sommet plat offrait un excellent terrain d’atterrissage. La navette attendait les fuyards, prête à les emmener en sécurité.

Mais il s’agissait d’y arriver avant les Krizlaws. Et, à ce rythme…

Les deux Jedi se retournèrent et virent les créatures progresser par bonds réguliers en piaillant de plus belle. Luke avait observé l’effet de ces hurlements sauvages sur des animaux : ils les paralysaient. Leurs proies ainsi réduites à l’impuissance, les Krizlaws les dévoraient. Selon Hegerty, ils considéraient que le cœur du gibier devait battre encore pour assurer une bonne digestion.

Vous ne digérerez pas ce Jedi-là, entier ou non ! se jura Luke.

Il explora mentalement l’intérieur du tertre, fait de terre tassée autour d’un centre en pierre. Il y avait des fissures, sous la surface, et, avec une bonne poussée…

Là !

Il se lia à son neveu, utilisant une technique de fusion dans la Force qu’il avait perfectionnée au cours des derniers mois. Ensemble, ils poussèrent sur le point le plus faible, sous la surface. De la poussière jaillit sur la pente, comme si une machine enterrée s’était soudain activée. L’avalanche qui s’ensuivit balaya les Krizlaws au pied du tertre.

Soulagé, Stalgis leva un sourcil.

— Impressionnant !

Son fusil blaster à l’épaule, il continua de gravir le tertre d’un pas plus mesuré.

— Nous ne sommes pas encore tirés d’affaire, avertit Jacen.

Luke était du même avis. Activant son comlink, il pressa l’allure.

— Nous arrivons, dit-il. Des signes de perturbations ?

— Paré au décollage, répondit le pilote de la navette impériale.

Au-dessus d’eux, Luke entendit le bourdonnement des moteurs. Soulagé à l’idée de quitter bientôt la planète, il se demanda ce qui était allé de travers, alors que tout avait si bien commencé. Munlali Mafir figurait au nombre des mondes catalogués par Hegerty qui déclaraient avoir remarqué, brièvement, le passage d’une « planète errante »…

S’il ne s’agissait pas forcément de Zonama Sekot, la piste valait la peine d’être remontée.

Mais dès leur arrivée, Luke et les siens avaient constaté que quelque chose avait changé… D’après Hegerty, les Jostriens – les natifs de Munlali Mafir –, étaient des mille-pattes de la grosseur d’un bras humain… Or, ils découvrirent une colonie de Krizlaws, supposés être des animaux sauvages vivant en troupeaux… Soit un phénomène quelconque avait transformé les Krizlaws en êtres pensants et éliminé les Jostriens, soit les sondes impériales s’étaient trompées… La langue des Krizlaws et celle attribuée aux Jostriens par les dossiers d’Hegerty étaient rigoureusement semblables.

Ignorant les voyages interstellaires, les Krizlaws avaient accueilli la navette impériale avec enthousiasme, et invité à un banquet Luke, Jacen, Hegerty et une garde d’honneur…

… Où ils avaient découvert des habitudes alimentaires peu ragoûtantes. Le chef local – que seul le port d’une ceinture colorée distinguait de ses congénères – avait volontiers évoqué la légende du « Monde des Etoiles », apparu un jour dans le ciel, quarante ans plus tôt, sous la forme d’une lumière bleu-vert…

Le phénomène avait persisté trois mois avant de disparaître.

Pendant le « séjour » du Monde des Etoiles, Munlali Mafir avait subi de nombreux séismes. Des volcans étaient entrés en éruption, des tremblements de terre avaient dévasté les trois continents… A cette époque, les natifs déterminer – les Jostriens ou les Krizlaws, Luke n’avait pas pu le déterminer –, avaient associé l’arrivée de la nouvelle planète aux désastres géologiques. Pour eux, le Monde des Etoiles était logiquement un présage de mort et de catastrophe.

Luke s’était efforcé de rassurer le chef et son peuple : il était peu probable que le Monde des Etoiles revienne jamais.

Alors, les ennuis avaient commencé.

Un pur hasard – toujours selon Luke –, car la visite de la planète errante risquait peu de se reproduire. Il supposait que Zonama Sekot cherchait une cachette. Constatant que la planète était habitée, elle était repartie. Il expliqua en outre que les conséquences catastrophiques de sa visite – les cités dévastées, la perturbation des courants océaniques et l’impact sur certaines ressources planétaires – étaient temporaires. Tout reviendrait bientôt à la normale.

Loin d’être rassurés, les natifs étaient devenus agités. Sur un simple signe du chef, les visiteurs étaient passés du statut d’invités à celui de prisonniers. Persuadé de pouvoir éviter un affrontement, Luke avait interdit toute résistance à son équipe.

Mais dès qu’il voulut contacter le chef via la Force, il comprit que ce serait difficile.

Ces êtres avaient deux centres de conscience. En temps normal, Luke aurait facilement pu influencer les pensées de n’importe quelle créature et la convaincre de les laisser partir. Mais dans l’esprit du chef des Krizlaws, il ne trouva aucune zone où exercer ce type de pression.

Un des centres de pensées, vif et alerte, repoussa aisément sa sonde mentale. L’autre, diffus et pesant, se révéla aussi glissant qu’un œuf de nooroop… Toute influence mentale étant apparemment exclue, Luke fut perturbé. Il n’avait jamais été confronté à ce genre de situation.

Profitant de la confusion, un Krizlaw vêtu d’une longue tunique avait jeté à terre un des commandos, lui renversant la tête en arrière pour le forcer à avaler un ver. Le soldat avait vainement tenté de le recracher…

Luke s’était servi de la Force pour éloigner le Krizlaw du commando. Les signes vitaux de l’homme restaient forts, malgré le dégoût dû à ce « repas » inattendu. Luke l’avait aidé à se relever, pendant que Jacen se libérait et libérait les autres.

Puis ils s’étaient enfuis.

Luke avait entendu le chef crier des ordres à ses subordonnés. Bientôt, un groupe de onze « chasseurs rituels », comme disait Hegerty, s’était formé et lancé à leurs trousses.

La poursuite dans le palais en ruine avait été mouvementée… Les Krizlaws avaient vite rattrapé deux commandos, à l’arrière du groupe, leur arrachant des hurlements horribles.

Leur mort avait donné quelques secondes d’avance à leurs compagnons. Quand un Krizlaw tuait une proie, tous s’arrêtaient pour la dévorer. C’était la première indication que Hegerty avait reçue sur la nature du groupe de chasse rituelle…

Après l’avalanche, les survivants abandonneraient-ils la traque ?

Luke se surprit à l’espérer.

Mais ils n’étaient sans doute pas au bout de leurs peines, malgré le soulagement qui émanait de Stalgis et d’Hegerty. Baisser prématurément leur garde pouvait encore leur coûter la vie.

Ils atteignirent enfin le sommet plat du tertre. La navette de classe Sentinelle reposait sur un bas-relief érodé illustrant une bataille mythique entre deux divinités hideuses. En haut de la rampe, une pilote impériale en uniforme gris leur fit signe de se hâter.

— Oh là, pourquoi tant de précipitation ? lança Stalgis. On n’aurait pas le temps d’admirer le paysage ?

Il soutenait le seul autre commando survivant – celui qui avait avalé la larve.

Trois Krizlaws arrivaient, bondissant de manière peu élégante mais efficace. A l’évidence, ils atteindraient les premiers la navette – une perspective qui leur inspirait des ululements de triomphe.

Luke rassembla la Force autour de Jacen et de lui-même. Augmentant ainsi leur vitesse, ils attireraient vers eux les trois Krizlaws. Leurs compagnons pourraient alors foncer vers la navette et y trouver refuge.

Trois de ces créatures ne feraient pas long feu face aux sabres laser de deux Chevaliers Jedi.

Hélas, huit autres Krizlaws apparurent.

— Onze… de nouveau ! souffla Hegerty, hors d’haleine.

— Ça ne peut pas être ceux que nous venons d’enfouir sous l’avalanche ! protesta Jacen.

— Ils n’ont pas les mêmes marques corporelles, observa Luke.

— Comment ont-ils su où nous étions ? demanda Stalgis.

Personne n’eut le temps de répondre à sa question. Les onze extraterrestres convergèrent vers leurs proies. Deux Krizlaws se séparèrent des autres pour se ruer vers la navette. Le pilote battit en retraite à l’intérieur.

Quelques secondes plus tard, les canons laser sortirent de leur logement et tirèrent… Mais les Krizlaws étaient trop rapides.

Luke cessa de courir. Inutile de se fatiguer pour rien. Il se plongea dans une transe pour se calmer. Se laisser aller à la colère ou à la frustration serait mal venu. Il devait exister un moyen de se tirer de ce mauvais pas !

Stalgis tira. Une créature tomba, un bras en moins, dans un geyser de sang pourpre. Horrifié, Luke la vit se remettre sur pied et avancer.

Stalgis continua à tirer.

Entourant la xénobiologiste épuisée, Luke et Jacen s’écartèrent d’un côté, Stalgis et son camarade de l’autre. A peine plus âgée que Luke, Hegerty n’avait aucune formation au combat. Les expéditions scientifiques auxquelles elle participait d’habitude ne comportaient ni marathons ni courses d’obstacles !

Les Krizlaws firent cercle autour d’eux. Grâce à la Force, Luke les tint d’abord en respect… Mais il ne les empêcherait pas indéfiniment d’attaquer…

Il se prépara à livrer un combat à mort. Ses pensées allèrent vers son fils, en sécurité au sein de l’Alliance Galactique, et il envoya un message à Mara, qui attendait en orbite dans l’Ombre de Jade.

 

Le Faucon Millenium quitta l’hyperespace avec fort peu de grâce. Agrippant les accoudoirs de son siège de copilote, Leia était ravie que Yan en ait enfin installé un convenant à sa petite taille…

Derrière elle, la princesse entendit C3PO produire un atroce bruit de ferraille.

— Grands dieux, dit le droïd doré en luttant pour garder l’équilibre, j’espère que nous n’avons rien heurté !

Yan poussa quelques commutateurs. En vain. Il flanqua un coup de pied à la base de la console…

… Et la trajectoire se stabilisa.

— Désolé, les gars, lança-t-il à la cantonade. Ça y est, j’ai réparé !

Leia leva les yeux au ciel.

Stoïque, le regard rivé sur un point situé hors de la verrière du cockpit, Tahiri était restée calme pendant tout le trajet. Et muette. Leia avait tenté en vain d’engager la conversation avec la jeune Jedi. Un processus complexe de guérison s’était enclenché dans l’esprit de la jeune femme.

Pas question de le perturber.

Pourtant, Leia pensait parfois qu’une approche plus directe devenait nécessaire. L’évanouissement de Tahiri, sur Galantos, était survenu alors que la princesse croyait que la jeune femme allait beaucoup mieux. Mais ses réactions, en reprenant conscience, avaient été impeccables. Sans son instinct de Jedi, ils ne seraient jamais arrivés en orbite à point nommé pour rencontrer le mystérieux Ryn qui les avait aidés à fuir.

Leia soupira. Ce qui se passait dans l’esprit de Tahiri n’était pas simple !

Le récepteur subspatial bipa.

Leia ouvrit la fréquence.

— Faucon, j’attends vos instructions, annonça la capitaine Mayn.

— Ravie que vous ayez pu vous joindre à nous, Sélonia. Vous avez fait bon voyage ?

— Aussi bon que possible, dans l’hyperespace…

Leia sourit en admirant la planète, devant eux. Bakura, un superbe monde bleu-vert, était connu pour ses exportations agricoles et sa capacité de produire d’excellents répulseurs. Ses deux lunes avaient été systématiquement exploitées pour extraire les matériaux nécessaires à la fabrication de la deuxième Etoile Noire. La planète se situait à la limite de la galaxie, à l’opposé des mondes tombés les premiers entre les mains des Yuuzhan Vong…

« De Bonadan à Bakura en passant par Bothawui »… Selon cette vieille expression, aller du Secteur Corporatif à Bakura en faisant un grand détour par l’espace bothan était plus facile qu’en traversant le Noyau, avec ses voies hyperspatiales dangereuses. Mais alors que Bonadan était un monde industriel transformé en désert, Bakura restait verdoyant et pastoral.

Belkadan, la première planète attaquée par les Yuuzhan Vong, et relativement proche de Bonadan, avait été « vong-formée » préalablement à l’implantation d’usines biologiques. Leia espérait que les mondes qu’elle connaissait ne seraient pas un jour tous liés par une dégradation similaire de leur biosphère…

Si Shimrra régnait un jour sur Bakura, elle saurait que la fin était vraiment proche.

Pour le moment, la planète avait l’air pacifique…

De nombreux satellites orbitaient autour de Bakura. A l’évidence, il ne faudrait pas longtemps avant que le Faucon et le Sélonia soient détectés. Si tout se passait comme d’habitude, les entrées dans le système étaient surveillées de près. Sur le qui-vive, le gouvernement de Bakura était toujours prêt à détecter d’éventuelles incursions des Ssi-ruuk. Après la première invasion, vingt-cinq ans auparavant, quatre destroyers et croiseurs – l’Intrus, le Gardien, le Sentinelle et le Défenseur – avaient été construits et affectés à la protection du système. Deux d’entre eux, le Gardien et le vaisseau amiral Intrus, avaient été détruits en se mettant au service de la Nouvelle République, à Sélonia et à Centerpoint.

Restaient le Défenseur et le Sentinelle.

— Ça te rappelle de vieux souvenirs, Leia ? demanda Yan avec un sourire en coin.

Il lui serra la main. Alors qu’ils se connaissaient depuis peu, ils étaient venus ensemble à Bakura… En d’autres circonstances, elle aurait apprécié ce retour aux sources.

— Tenez-vous prêt, Sélonia, dit-elle à Mayn. Contactez le réseau planétaire. Ne donnez pas notre identité : utilisez les codes du Sélonia. (Après la réponse de Mayn, Leia passa sur une autre fréquence.) Soleils Jumeaux Un, maintenez la formation, sauf avis contraire.

— Compris, répondit Jaina.

Les chasseurs survivants de Soleils Jumeaux entouraient les deux vaisseaux de commandement, formant un dodécaèdre aplati auquel aurait manqué une pointe.

— Tu captes quelque chose, Jaina ? demanda Leia.

— Rien de particulier.

— Et toi, Tahiri ?

La jeune Jedi sursauta.

— Pardon ?

— Tu détectes quelque chose dans la Force ?

— Non. Pas encore.

Tahiri ferma les yeux et « sonda » mentalement l’espace de Bakura.

— Tahiri cherche, dit Leia.

Jaina marqua une pause lourde de sens.

Leia avait remarqué une gêne croissante dans les rapports entre Jaina et Tahiri. Sa fille étant souvent de service et rarement à bord du Faucon, elle n’avait pas eu le temps d’aborder le sujet avec elle. Si quelque chose s’était mis en travers de l’amitié des deux jeunes femmes, Leia ignorait quoi.

— D’accord, dit Jaina. Nous garderons nos capteurs ouverts.

Yan dirigea le Faucon sur un cap clairement destiné à insérer le vaisseau en orbite. Malgré l’escorte militaire, Leia ne voulait pas qu’il y ait des doutes sur la nature pacifique de leur mission… Après les vagues indications données par le Ryn, elle entendait ne courir aucun risque.

Elle rouvrit la fréquence avec le Sélonia.

— Des nouvelles, capitaine ?

— Pas encore. Nous entendons des échanges… Pas grand-chose d’autre. Il y a beaucoup de vaisseaux en orbite. La plupart semblent être des cargos.

— Pas de décollages ?

— Aucun détecté.

— Continuez à émettre. Ou on nous ignore, ou on ne nous a pas encore repérés. Mais ça ne saurait tarder. Gardons notre cap, et attendons. Soyez prête à tout.

— Compris.

Leia se tourna vers Yan, qui paraissait inquiet.

— Ça va ?

Il leva un sourcil.

— Ai-je besoin de répondre à cette question ?

Sa femme soupira. Elle aussi avait un mauvais pressentiment. Quelque chose clochait… Mais quoi ?

La fréquence subspatiale s’activa enfin.

— Sélonia, ici le général Panib de la Flotte Bakurienne. Veuillez préciser vos intentions.

Leia se souvint d’un capitaine Grell Panib qu’elle avait rencontré lors d’une autre visite à Bakura. C’était sans doute le même homme… Un petit rouquin guindé aussi aimable qu’un Wookie affamé.

— Nous sommes alliés, général, et nous souhaitons obtenir un vecteur d’arrimage…

— Désolé, Sélonia, mais il me faudrait d’autres détails avant que nous puissions vous en donner un.

Yan grogna.

— C’est une demande raisonnable, continua le général d’une voix tendue. Il n’y a eu aucune notification de votre arrivée…

— Général Panib, ici Leia Organa Solo, intervint la princesse avant que Yan n’explose. Nous sommes ici en mission diplomatique. Nous vous aurions prévenus, si les communications avaient été fiables dans le secteur.

Le général hésita.

— Je comprends. Nous avons effectivement eu des problèmes de communications. Mais j’insiste pour que vous précisiez vos intentions.

— Laissez tomber, mon gars ! dit Yan, furieux. Nous vous avons sauvés des Ssi-ruuk !

— Je m’en souviens. J’ai reconnu votre vieux cargo déglingué dès que je l’ai vu.

Leia sourit en voyant son mari ravaler une réplique indignée.

— Mais les choses ne sont plus si simples, reprit Panib. La situation est délicate.

— Comment cela ?

— Vous n’êtes pas les bienvenus ! lança une autre voix. Allez voler les vaisseaux de quelqu’un d’autre !

— Quoi ? cria Yan. Ecoutez, espèce de…

— Un moment, Yan, coupa Leia. Général Panib, cette personne parle-t-elle avec votre autorisation ?

— Certainement pas ! s’étrangla le militaire. Et elle sera traduite en cour martiale dès que…

— Vous ne pouvez pas traduire tout le monde en cour martiale ! Ni étouffer la vérité indéfiniment !

— Quand je saurai qui ose, cracha le général, je… !

— La vérité ? l’interrompit Leia. Laquelle ?

— Il n’y a rien à discuter ! rugit Panib. Mêlez-vous de vos affaires !

— Pas d’inquiétude, répondit Leia. Cela étant, nous sommes inquiets pour vous. Vous courez un grave danger, général. Des imposteurs se faisant passer pour des alliés vous ont peut-être récemment contacté. Je peux vous assurer qu’ils ne sont pas ce qu’ils prétendent être.

— Alors que vous ne mentez jamais ! ironisa l’intrus. Eux, au moins, ils ne se prétendent pas nos alliés en érodant nos défenses et en nous laissant vulnérables à n’importe quelle attaque !

— Nous n’avons jamais abandonné nos alliés ! répliqua Leia, offensée.

— Ah, non ? Que faites-vous de Dantooine, d’Ithor, de Duro, ou encore de… ?

— Chaque planète perdue nous a profondément blessés !

— Je vous présente toutes mes excuses, princesse, intervint Panib. Nous faisons de notre mieux pour trouver l’origine de cette transmission.

— Je suis désolé aussi, princesse, dit l’intrus, mais je crois que le moment est venu de nous trouver d’autres alliés.

— Ouh là ! fit Yan en regardant l’écran.

— Qu’y a-t-il ? demanda Leia.

Il désigna l’écran. Sortis des ponts de décollage du Sentinelle, ils virent des droïds de combat ssi-ruuvi se diriger vers eux.

— Nous arrivons peut-être trop tard, dit-il.

 

— Oncle Luke ! Regarde !

Jacen guida son oncle dans le double cerveau d’un des Krizlaws. Il avait utilisé la Force pour obscurcir l’esprit le plus alerte des deux, mais la créature continuait d’avancer.

Le cerveau inférieur suffisait à coordonner les mouvements de son corps.

— En quoi cela nous aidera-t-il, Jacen ? demanda Luke.

— Regarde mieux : ce ne sont pas des créatures uniques, mais des symbiotes !

— Deux êtres combinés ? Je ne vois pas comment ça…

Soudain, il vit : l’esprit plus alerte appartenait au « cavalier » et donnait les ordres au corps. L’esprit inférieur appartenait à la créature, et lui permettait de continuer à fonctionner si l’esprit supérieur était court-circuité.

La théorie de Jacen collait aux faits.

Et s’il avait raison, l’esprit inférieur devait être plus facilement perturbé par la douleur. Mais dans ce cas, pourquoi celui dont Jacen avait oblitéré l’esprit supérieur ne fuyait-il pas le blaster de Stalgis ?

Luke le découvrit rapidement. L’esprit supérieur appartenait à un tueur sans merci, inaccessible à la raison. Entraînés à chasser, pas à réfléchir, les membres de la meute continueraient à attaquer tant qu’il resterait des « cavaliers » pour tenir les esprits inférieurs sous leur joug.

Luke se projeta dans l’esprit d’un autre Krizlaw et obscurcit son esprit supérieur. Comme prévu, le chasseur obéit aux dernières instructions reçues, s’acharnant à attaquer.

Luke et son neveu semèrent la confusion dans les esprits supérieurs. Après la sixième créature « désactivée », il y eut un flottement dans le comportement de la meute. Elle devint moins ordonnée, et les aboiements se firent plus agressifs.

Luke sentit l’inquiétude envahir les esprits dominants restants tandis que les autres Krizlaws revenaient à leur état primitif.

Mais ça n’aidait guère l’équipe de Luke.

Deux créatures enragées furent repoussées de justesse par les salves de blaster de Stalgis et du commando blessé. L’une d’elles s’écroula à leurs pieds.

Une autre recula, crachant du sang. Luke enfonça son sabre laser dans le flanc d’une bête, qui bascula en arrière. Mais ses mâchoires continuèrent de claquer. Stalgis l’acheva d’un coup de blaster.

Deux autres attaquèrent maladroitement. Ses mâchoires prêtes à le broyer, un Krizlaw se jeta sur Luke, qui leva son sabre laser…

Il pensa à Mara et à Ben pour exacerber sa détermination à survivre et trancha les membres antérieurs de la créature… sans réussir à briser son élan.

Elle le renversa, sa mâchoire claquant soudain à quelques centimètres de son visage… Avant qu’il puisse lever son sabre laser, cinq coups de blaster touchèrent l’être à la tête. Du sang éclaboussa Luke, et le Krizlaw roula sur le côté.

Pas le temps de remercier le commando qui avait tiré !

Luke se releva, prêt à tout. Hurlant d’une voix si aiguë qu’elle lui fit mal aux oreilles, les Krizlaws reculèrent, se retournèrent et s’enfuirent, bondissant follement vers le bord du plateau…

Luke se tourna vers ses compagnons. Stalgis avait une coupure au front, et le commando saignait d’une morsure à l’épaule. Hegerty n’avait rien, mais Jacen boitait légèrement.

Il éteignit son sabre laser, l’air satisfait.

— Tu les as fait fuir ? demanda Luke.

— J’ai réussi à influencer les esprits inférieurs. Dès que nous avons éliminé assez de « cavaliers », ils ont été incapables de se débrouiller seuls. La meute a pris peur et s’est enfuie.

— La meute est-elle un esprit collectif, à votre avis ? demanda Hegerty.

— Oui. Avec un nombre fixe de composants pour former une configuration stable.

— Bien entendu ! s’écria Hegerty. Les onze chasseurs ! Ils ont dû évoluer ainsi, et les esprits supérieurs ont profité de la configuration…

— Et c’est comme ça qu’ils ont su que certains d’entre eux avaient été tués, ajouta Jacen. A chaque disparition, un nouveau Krizlaw prenait la place vacante, et il savait instantanément tout ce que la meute savait.

Oui, songea Luke, c’était cohérent… Mais l’heure était mal choisie.

— Allons à la navette, dit-il. Je préfère ne pas attendre que le chef monte un autre groupe d’attaque !

Hegerty partit la première. Stalgis aida son collègue blessé, Luke et Jacen passant en dernier.

— Bon travail, approuva Luke. Et à point nommé ! J’ignore combien de temps nous aurions tenu.

— J’aurais détesté finir sous les crocs d’une meute…, répondit Jacen.

— Il ne faut jamais sous-estimer son pouvoir, souligna Luke. Le nombre peut supplanter la tactique. C’est l’arme la plus puissante que puisse avoir un adversaire – à part ne pas craindre la mort.

Ils gagnèrent à la rampe d’embarquement sans autre incident. Luke aida le commando blessé à monter dans la navette et à s’allonger sur une couchette. Stalgis prit une trousse médicale au passage.

— Il faudra l’examiner soigneusement, dit Hegerty à voix basse. Ce qu’on lui a fait avaler peut être dangereux.

— A part sa blessure à l’épaule, il a l’air d’aller bien, répondit Jacen.

— Je pense que Hegerty s’inquiète des possibilités de lésions internes, intervint Luke.

Le danger passé, le commando blessé avait vraiment l’air secoué.

— Avertissez le Faiseur de Veuves que le commando devra peut-être subir une opération en urgence, dit Hegerty.

— Pourquoi ? demanda Jacen.

— Vous avez dit que les Krizlaws étaient des symbiotes, répondit-elle. Symbiotes avec quoi ?

— Une autre espèce, je suppose.

— Oui. Vous vous souvenez des Jostriens disparus ?

Jacen blêmit.

— Vous ne croyez quand même pas que… ?

Hegerty haussa les épaules.

— Peut-être n’ont-ils pas disparu, après tout !

— Nous allons avertir Tekli, dit Luke, horrifié.

Il réfléchit à la situation. Rétrospectivement, cela semblait logique. Le passage de Zonama Sekot avait dû déstabiliser assez l’environnement pour encourager un clan belliqueux de Jostriens à s’emparer des Krizlaws. Zonama Sekot avait soutenu ce clan, au prix de la fin de la civilisation jostrienne…

Le pilote décolla dès que Luke entra dans le cockpit. Harnais en place, il consulta le capteur de surface. Un autre groupe de Krizlaws/Jostriens se dirigeant vers la navette, il se félicita de ne plus être dehors.

La navette ne tira pas sur les natifs en partant. Autrefois, les canonniers de ce vaisseau auraient mitraillé leurs adversaires… Mais Luke avait longuement expliqué que leur mission était pacifique et qu’il n’y aurait pas de violences gratuites.

Jusque-là, les Impériaux acceptaient ses conditions sans difficulté. Stalgis et Yage l’avaient soutenu, et de nombreux membres de l’équipage avaient de la famille ou des amis qui devaient la vie à l’intervention de l’Alliance Galactique, autour d’Orinda. Il subsistait toutefois en leur sein un vague ressentiment. Aux yeux de certains, Luke Skywalker serait à jamais le jeune Rebelle responsable de la mort de Palpatine.

— Appelez l’Ombre de Jade, demanda le Jedi à l’officier des communications.

A la grande surprise de Luke, Danni Quee prit l’appel.

— J’en déduis que vous avez eu des problèmes avec les autochtones, dit la jeune scientifique.

— Un désaccord portant sur le menu du festin, c’est tout, répondit Luke. Mara est là ?

— Occupée pour l’instant, mais ne vous inquiétez pas. Puis-je lui transmettre un message ?

— Non, merci. Dites à Tekli de monter à bord du Faiseur de Veuves. Nous avons un patient pour elle.

— Qui a été blessé ? demanda Danni.

Luke comprit qu’elle pensait à Jacen.

— Un commando. Il est… infecté, peut-être.

— Tekli se tiendra prête. Du nouveau sur Zonama Sekot ?

— Elle est passée par là, comme nous le pensions. Mais il y a de nombreuses années. Si nous savions ce qu’elle cherche, ça améliorerait grandement nos chances de la trouver.

— La galaxie est grande, soupira Danni.

— Excusez-moi, dit le pilote. Vous avez une communication.

— Désolé, Danni, je dois vous quitter, conclut Luke.

Il gagna la console holographique, sise entre deux sièges avant, et découvrit Arien Yage, la robuste capitaine du Faiseur de Veuves, l’escorte officielle de l’Ombre de Jade à travers les Régions Inconnues.

Elle portait un chignon sévère et arborait une expression tout aussi rébarbative.

— Nous avons des visiteurs, annonça-t-elle sans préambule. Il y a quinze minutes, une corvette chiss et deux escadrons de griffes sont entrés dans le système. Ils sont sur un vecteur d’approche à haute vélocité, visant à se verrouiller sur notre orbite.

— Des communications ?

— Aucune, bien que nous les ayons salués dès leur apparition sur nos capteurs. J’ai mis l’escadron en alerte…

— Combien de temps avant qu’ils n’arrivent à portée ?

— Environ trente minutes.

— Nous serons revenus à ce moment. Gardez l’œil ouvert, capitaine, et tenez-moi informé.

L’image de Yage disparut.

Luke se cala dans son siège et soupira. Deux escadrons de Chiss valaient une douzaine de chasseurs Tie Impériaux, mais l’Ombre de Jade, commandée par Mara, valait bien un escadron à elle seule… S’ils devaient se battre, les chances seraient égales. Bien sûr, il espérait que les choses n’en arriveraient pas là. La dernière fois que Mara et lui étaient entrés dans l’espace des Chiss, à l’époque de Thrawn, tout s’était passé à l’amiable.

La fatigue lui tombant dessus d’un coup, Luke puisa dans la Force pour la balayer. Oui, il en avait assez de se battre, mais il ne baisserait pas les bras pour autant. De plus, rien n’indiquait que les Chiss cherchaient la bagarre. Cette méthode d’approche était peut-être coutumière chez eux. Les Chiss se montraient toujours efficaces et pragmatiques – au point de paraître froids aux yeux des étrangers.

Luke retourna dans la cabine des passagers pour prendre des nouvelles du commando blessé. L’homme était inconscient. Stalgis, qui lui avait enlevé le haut de son uniforme pour soigner son épaule, lui injectait des stimulants.

— Son état se détériore à toute allure, dit-il, inquiet. Il faut le transférer au plus vite à bord du Faiseur de Veuves !

Luke fit signe à Jacen.

— Essaie de le stabiliser. Nous agirons aussi rapidement que possible, mais ça ne suffira peut-être pas.

Penché sur le commando, Jacen posa une main sur son front. Luke sentit les vagues d’énergie thérapeutique jaillir de son neveu pour se déverser dans le métabolisme du soldat.

Il posa une main sur l’épaule du jeune homme pour l’aider.

— Nous avons attiré l’attention, murmura-t-il.

— Quel genre ?

— Des Chiss.

Alors que la navette fonçait vers l’orbite occupée par les deux vaisseaux principaux, l’état du soldat continua de se détériorer. Luke sentit le système immunitaire de l’homme faiblir tandis que l’envahisseur lui répandait ses poisons chimiques et génétiques dans le corps.

Jacen ne suggéra pas d’utiliser la Force pour tuer l’intrus. Il le ferait seulement si choisir entre le commando et lui devenait inévitable.

Soucieuse et intéressée, Hegerty observait attentivement la scène.

L’officier des communications passa la tête hors du cockpit.

— Un autre appel, monsieur.

Luke retourna dans le cockpit, où l’hologramme de Yage l’attendait.

— Nous avons eu une réponse. Le commandant Irolia de la Flotte Défensive Chiss veut parler au responsable. Je lui ai dit que vous reveniez de la surface, mais elle souhaite vous parler immédiatement.

— Passez-la-moi, alors.

Le copilote laissa spontanément sa place à Luke.

Le visage de Yage fut remplacé par le torse d’une femme à la peau bleue vêtue d’un uniforme bordeaux et noir. Dotée des yeux rouges de son espèce, son expression dénotait l’autorité. Les Chiss devenaient adultes rapidement, mais Luke fut surpris : elle avait l’air à peine plus âgée que sa nièce, Jaina.

— Vous êtes maître Skywalker ? demanda-t-elle d’une voix aussi « chaleureuse » que celle d’un droïd.

— Oui. Je suis le chef d’une mission pacifique envoyée par l’Alliance Galactique. Nous sommes dans une situation délicate. J’ai perdu deux hommes de mon équipage dans une escarmouche contre les natifs de la planète, et un troisième est dans un état grave. Si nous ne revenons pas rapidement en orbite, il mourra. Votre arrivée dans le système a déclenché une alerte générale. En conséquence, nos procédures d’atterrissage seront plus compliquées. Si je perds un autre homme à cause de vous, je serai très…

— Veuillez ne pas nous menacer, Skywalker, répondit la Chiss. Nos intentions ne sont pas de vous empêcher de vous poser. Je vous prie simplement de me rencontrer dès que cela vous sera possible.

— Bien sûr, dit Luke. Nous arrangerons le rendez-vous dès que nous arriverons au Faiseur de Veuves.

— Peu m’importe quand ou comment vous l’arrangerez. Sachez toutefois que je ne resterai pas longtemps dans ce système. Acceptez ma requête, ou subissez les conséquences.

L’image disparut.

— Vous avez entendu le commandant, dit Luke au pilote. Nous ferions mieux de nous dépêcher…

 

— A toutes les ailes X, annonça Jaina sur la fréquence de combat subspatiale, verrouillez vos stabilisateurs en position d’attaque. Griffes : visez les vaisseaux en approche. Plan de bataille A-sept.

— Bien reçu, répondit Jag.

Leia regarda la formation de chasseurs se séparer – deux paires et un groupe de trois, les chasseurs de l’Alliance Galactique et ceux des Chiss volant côte à côte avec un bel ensemble. Le ton calme de sa fille l’emplissait de fierté. Si Jaina avait été surprise par l’attaque, elle ne le montrait pas. Et elle ne trahissait pas la moindre inquiétude, alors que son escadron n’avait aucune expérience du combat contre les chasseurs ssi-ruuvi.

Le général Panib, lui, s’affola.

— Attendez, je vous en prie ! Il y a un terrible malentendu !

— Vous pouvez le dire ! ricana Yan. Et nous allons éclaircir les choses pour vous ! Ces vaisseaux appartiennent à l’ennemi, et nous les pulvériserons s’ils approchent. Compris ?

— D’autres décollages, annonça Leia. Des ailes A et des ailes B, cette fois, pas des Ssi-ruuk.

Yan regarda l’écran.

— Ceux-là feraient bien d’être de notre côté, Panib.

— Faucon, je vous en prie, n’ouvrez pas le feu ! Ces navires pacifiques escortent votre passage en orbite.

— Tous ? railla Yan. Ouais ! Si technitionner des humains et les utiliser pour piloter ces chasseurs est un comportement « pacifique », nous ne parlons pas la même langue ! Ces chasseurs ont exactement trente secondes pour faire demi-tour avant que nous ouvrions le feu.

— Yan, regarde ça ! intervint Leia en désignant le gros plan d’un vaisseau ssi-ruuvi. Ces logements de moteurs ne te semblent pas familiers ?

Yan fronça les sourcils.

— Et alors ?

— On dirait des moteurs à ions. Depuis quand les Ssi-ruuk utilisent-ils des moteurs à ions standard sur leurs chasseurs ?

— Que veux-tu dire, Leia ?

— Qu’il se passe plus de choses qu’il n’y paraît à première vue ! Tu remarqueras aussi que nos communications n’ont pas été brouillées.

— Ça doit être une ruse, dit Yan, méfiant. Ils veulent que nous baissions notre garde.

Leia ne fut pas convaincue.

— Ça ne colle pas. S’ils nous voulaient vraiment du mal, pourquoi ne pas nous laisser nous poser et nous attaquer après ?

La princesse eut l’impression de lire les pensées de Yan. Et si Panib disait la vérité ? Une erreur pouvait coûter cher…

Sans compter le mystérieux intrus, sur la fréquence de communication sécurisée… Depuis que les vaisseaux ssi-ruuvi avaient décollé, l’individu ne se manifestait plus. S’il avait voulu perturber les communications entre Panib et les visiteurs, afin de leur assurer la plus mauvaise réception possible, il avait pleinement réussi son coup !

— Les pilotes de ces vaisseaux ne sont pas des humains, annonça soudain Tahiri, mais des extraterrestres. Et… (Elle ferma brièvement les yeux.) Tout le monde connaît les Ssi-ruuk de réputation. La technition est censée être très douloureuse, n’est-ce pas ?

Leia fit un signe de tête. Elle se souvenait trop bien de l’expression de Luke, arraché du vaisseau ssi-ruuvi où il avait été gardé prisonnier, bien des années auparavant… Etre témoin des méthodes perverses de technition utilisées sur les prisonniers lors de la bataille de Bakura l’avait profondément affecté.

— Ces esprits-là ne souffrent pas, dit Tahiri. Ils sont sereins.

— Que sont-ils ? demanda Yan.

— Je l’ignore. Je n’ai jamais touché d’esprits semblables.

Leia se projeta mentalement vers les vaisseaux en approche. Elle ne capta aucune hostilité.

— Je me fiche que leurs esprits soient « sereins » ! s’emporta Yan. Ils sont quand même en train de nous attaquer !

— Est-ce certain ? demanda Leia. Nous ne voudrions pas déclencher une guerre par erreur, s’il existe une autre solution.

— Et si tu te trompes ? Je n’ai pas envie qu’ils prennent Jaina pour cible !

— Moi non plus, Yan ! (Leia effleura la main de son mari, puis s’adressa à l’escadron sur la fréquence sécurisée.) Soleils Jumeaux, reculez vers le Sélonia et le Faucon. Ne tirez pas, sauf si on vous canarde. Compris ?

— Compris, Faucon.

Malgré une légère hésitation, dans la voix de Jaina, l’ordre fut exécuté aussitôt. L’escadron de Chiss et de chasseurs de l’Alliance Galactique fit demi-tour, venant se poster près des vaisseaux de commandement.

Yan se tortilla sur son siège. Leia était à peu près sûre d’avoir pris la bonne décision, mais elle se sentait nerveuse. La dernière fois qu’elle avait eu affaire aux chasseurs ssi-ruuvi, ils étaient sur le pied de guerre… Elle se souvenait de la force des boucliers et de la maniabilité de leurs vaisseaux. Surtout, elle se remémorait la manière dont les grands navires récupéraient les survivants ennemis pour absorber leur énergie vitale et les renvoyer à leurs anciens alliés…

— Artillerie prête, annonça la capitaine Mayn du Sélonia.

Leia retint son souffle.

Sur l’écran, elle vit les chasseurs étrangers rompre leur formation et adopter une configuration d’escorte autour des vaisseaux en approche. Il n’y eut pas de tirs, et ils restèrent à bonne distance du Faucon et du Sélonia. Les ailes A et B les rejoignirent.

Leia soupira.

— Loué soit le Grand Ingénieur ! lança C3PO.

— Tu peux le dire, Bâton d’Or ! renchérit Yan en se penchant pour modifier le cap du Faucon. Mais nous ne sommes pas sortis de l’auberge ! Au cas où personne ne l’aurait remarqué, nous voilà pris entre deux feux…

— Mais nous n’avons pas déclenché la guerre, dit Leia. Et nous aurons peut-être des réponses.

— Et si elles ne nous plaisent pas ? fit Yan.

La princesse haussa les épaules.

— Nous aviserons en temps voulu.

Yan se tourna vers la console com. Panib, qui s’efforçait d’attirer leur attention sur la fréquence subspatiale, semblait sur le point d’éclater en sanglots.

— Merci, Faucon ! Vous ne le regretterez pas.

— Nous réservons notre jugement jusqu’à ce que nous sachions ce qui se passe, répondit Yan.

— Je comprends, dit le général. Mais d’abord, je dois, une fois de plus, vous demander de préciser vos intentions.

Yan se frappa le front.

Leia capitula.

— Nous aimerions nous poser à Salis D’aar, et rencontrer le Premier ministre, Cundertol.

— Je crains que ce ne soit impossible, répondit Panib. Le Premier ministre ne peut recevoir personne.

— Je ne comprends pas, général. Pourquoi ?

— Bakura est actuellement sous le coup de la loi martiale. Je suis responsable du maintien de l’ordre, au moins jusqu’à la résolution de la crise.

— Dans ce cas, accordez-nous une entrevue. Quelle que soit la nature de cette crise, nous vous aiderons à en sortir.

— Votre aide serait la bienvenue, admit le général. Mais en l’état actuel des choses, Salis D’aar serait un endroit dangereux pour vous. Posez-vous dans le hangar du Sentinelle. Je vous y rejoindrai en navette dans une heure et vous expliquerai tout.

— Compris, dit Yan. Mais n’essayez pas de nous persuader que les Ssi-ruuk sont maintenant des gentils, parce que nous ne vous croirions pas !

— Il ne s’agit pas des Ssi-ruuk, répondit Panib, mais des P’w’ecks.

Leia comprit.

Yan aussi.

— Entendu, général, dit-elle. Rendez-vous dans une heure.

La communication fut coupée.

— Les P’w’ecks ? répéta Tahiri. N’étaient-ils pas les esclaves des Ssi-ruuk ?

— Effectivement, confirma Leia.

— Mais comment… ?

— Je suppose que nous l’apprendrons dans une heure, dit Yan, plus détendu. En attendant, montrons à ces reptiloïdes comment nous volons !

Pendant que Yan dirigeait le Faucon vers le Sentinelle, Leia exposa la situation à la capitaine Mayn. Pour l’instant, elle réservait son jugement, dans l’attente de ce que Panib aurait à dire. Rien n’était jamais aussi simple qu’on pourrait le croire…

 

Jacen faillit vomir en voyant Tekli opérer le commando blessé. A plat ventre sur la table d’opération, l’homme était bardé de tubes et de perfusions. Les fuyards avaient atteint juste à temps l’infirmerie du Faiseur de Veuves… Sans Luke et son neveu pour renforcer les défenses naturelles du commando, l’intrus aurait probablement vaincu le système immunitaire du soldat, entraînant sa mort.

Saba Sebatyne soutenait le commando pendant que Tekli s’efforçait d’isoler l’organisme étranger, coupant délicatement les tissus avec son vibro-scalpel. Un travail difficile et dangereux…

Après quarante-cinq minutes, elle sembla avoir enfin cerné le problème.

La créature en forme de mille-pattes que le soldat avait ingurgitée de force sur Munlali Mafir n’était pas un aliment mais bien – comme Hegerty s’en était doutée –, un hôte indésirable. Le jeune Jostrien avait résisté aux acides gastriques de sa victime assez longtemps pour passer dans sa cavité abdominale et, de là, dans sa colonne vertébrale. Fort de ses multiples pattes, il s’y était infiltré sans mal, remontant en direction du crâne…

Tekli l’avait rattrapé en haut de la moelle épinière de son patient, dont il s’apprêtait à investir le cerveau. Il avait déjà implanté des dizaines de filaments dans les tissus nerveux du soldat, rendant son extraction très délicate. A l’évidence, le Jostrien possédait plusieurs mécanismes de défense contre l’extraction. Les filaments pouvaient abîmer les cellules nerveuses de l’hôte pendant le retrait, ou sécréter des produits chimiques destinés à tuer autant de tissus cellulaires que possible.

Jacen aida Tekli à sauver le commando d’un sort horrible : il mit son esprit en résonance avec celui du Jostrien pour le garder docile le temps que Tekli opère. C’était quand même plus facile qu’avec une meute de onze créatures !

Jacen frémit en pensant à ce qui aurait pu arriver quand il vit Tekli fourrer la créature dans un flacon à échantillons. Des filaments minces comme des cheveux en sortaient, semblables à des racines.

— Bien joué, mon amie, dit-il. Cilghal serait fière de toi.

— Merci, Jacen, répondit Tekli en retirant ses gants. Mais avant de crier victoire, attendons la fin de l’anesthésie.

Les oreilles de la Chadra-fan étaient flasques de fatigue. La concentration intense exigée par l’opération lui avait beaucoup coûté.

— Tu es épuisée, dit Jacen.

— Je me sens aussi fatiguée que tu en as l’air !

Jacen sourit. Il n’avait pas eu le temps de se changer, seulement de se laver les mains et le visage.

Ils confièrent le patient aux médics impériaux. Le lieutenant Stalgis les attendait devant la salle chirurgicale. Son casque enlevé, il faisait plus vieux que ses trente ans.

Comme Jacen, il n’avait pas eu le temps de se rafraîchir.

— Comment va-t-il ?

— Bien, répondit Jacen. Laissons-lui le temps de se remettre.

— Cette chose – le Jostrien – vous avez pu… ?

— Il a été retiré.

— Je vous suis reconnaissant à un point, vous n’avez pas idée ! Tari est mon ami. S’il était mort… Si nous n’étions pas revenus à temps…

Il s’arrêta, la gorge nouée.

Jacen posa une main apaisante sur le bras du commando.

— Nous sommes heureux d’avoir pu tirer votre ami de ce mauvais pas. Je vous suggère d’aller vous reposer. Il aura besoin de vous dès qu’il reprendra conscience.

Stalgis salua et s’en fut.

— Tu devrais suivre ton propre conseil, Solo.

Jacen se retourna… Malgré son sourire avenant, Danni avait l’air inquiet.

— Je vais bien.

— Tu es fatigué. Inutile de le nier !

Tekli sortit et effleura au passage la main de Jacen, qui transmit une pensée reconnaissante à la Chadra-Fan.

Danni portait une combinaison de terrain de Jedi. Sa chevelure blonde et bouclée cascadait sur ses épaules.

— C’est vrai, je suis fatigué, admit-il. Je n’aimerais rien tant que dormir deux jours d’affilée !

— Tu le reconnais sans te faire prier ? Je suis impressionnée, Jacen. Hélas, tu n’auras pas le temps de dormir : on t’attend sur la passerelle.

— Un problème ?

— Ça attendra dix minutes, le temps que tu te débarbouilles.

— Ce sont les Chiss ? insista Jacen.

— Dans dix minutes, tu sauras tout. Si tu te présentes hirsute et crasseux devant Irolia, elle le prendra pour une déclaration de guerre !

— Elle refuse que nous nous posions ?

Danni ne répondit pas.

— Donne-moi au moins un indice ! (Elle lui sourit.) D’accord, d’accord !

Se sentant revigoré, Jacen, suivi par Danni, regagna la cabine qu’on lui avait affectée.

— Dis à oncle Luke que j’arriverai bientôt.

— Et les comlinks, ça sert à quoi ? grogna Danni.

Mais quand elle bifurqua vers la passerelle, son expression faussement indignée se transforma en sourire.

 

— La planète est une légende, déclara Irolia. Je ne peux pas croire que votre véritable objectif soit de la localiser !

Son visage juvénile affichait une expression têtue et déterminée.

— Je vous assure que c’est plus qu’un mythe, insista maître Skywalker. Nous avons des preuves qu’elle a existé. La seule question est de savoir si elle existe toujours.

Saba fut étonnée par la maîtrise de soi du Jedi. Elle le savait épuisé et irrité, pourtant il manifestait seulement du calme et de la patience.

— Quelles preuves ?

— Celle qui nous a parlé de Zonama Sekot est Vergere, une Jedi de…

— Vergere ? coupa Irolia, levant un sourcil. La Vergere qui a saboté le projet Rouge Alpha ?

— Oui. Celle qui a empêché qu’on commette un génocide tel que cette galaxie n’en avait jamais connu.

— Et vous vous attendez à ce que je me fie à sa parole ?

— Personne ne vous force à quoi que ce soit, intervint la capitaine Yage, exaspérée par l’ironie de la Chiss. Nous voulons mener notre mission à bien sans gêner personne, c’est tout.

— Mais quelle mission, précisément ? J’aimerais comprendre !

L’entrevue se déroulait sur la passerelle du Faiseur de Veuves, en présence de l’équipage. Irolia se comportait comme s’il s’agissait de son vaisseau et de son équipage. Saba le savait : si quelque chose arrivait à l’officier chiss ou à son escorte, les conséquences seraient graves pour maître Skywalker et son expédition.

Et Irolia savait qu’ils le savaient, d’où son assurance.

Sans être experte en humanoïdes, Saba supposait que la Chiss était considérée comme une belle femme par ses congénères. Le visage anguleux, la peau bleue douce et veloutée, ses grands yeux rouges pétillants d’intelligence dénotaient du caractère.

— Nous demandons le droit de chercher, reprit Luke. Rien de plus.

Irolia fit trois pas sur la gauche.

— Ceci est notre territoire. Vous en avez conscience ?

— Nous reconnaissons votre autorité sur des régions proches, oui, mais nous ignorions que la Flotte Défensive Chiss avait annexé ce système.

— Si je vous confirmais que c’est le cas, partiriez-vous ?

— Notre mission est d’ordre scientifique. Banniriez-vous une expédition commerciale ou scientifique de vos territoires ?

La Chiss éclata de rire.

— N’essayez pas de me leurrer, Skywalker ! Vous n’êtes pas un commerçant ! Et quant aux motifs de votre présence… Si vous trouviez cette planète, qu’en feriez-vous ?

— Nous espérons que Zonama Sekot soutiendra notre effort de guerre, dit une nouvelle voix, et sauvera ainsi des milliards de vies… y compris les vôtres.

Irolia se tourna vers Jacen, qui venait d’entrer.

— Donc, vos intentions ne sont pas scientifiques, mais militaires. Pourquoi devrions-nous vous laisser poursuivre vos objectifs, alors que vous avez interféré avec les nôtres ?

— Rouge Alpha n’aurait pas permis de gagner la guerre, répondit Luke. Et il aurait fait de nous tous des monstres.

— C’est de ça dont je parle, renchérit Jacen. La guerre contre nous-mêmes.

Irolia réfléchit longuement.

— Voir des Impériaux et la Nouvelle République travailler ensemble me surprend.

— Nous ne portons plus le nom de Nouvelle République, dit Luke, mais l’Alliance Galactique.

— Et l’Empire vous a rejoint ?

— Oui, confirma Yage.

— J’imagine que les Chiss seraient aussi les bienvenus ? fit Irolia, ironique.

— La décision vous appartient. Mais la réponse est oui. Vous seriez les bienvenus.

Irolia ricana.

— Mon plus vif motif d’inquiétude, pour le moment, c’est la composition de votre équipage.

— J’ai déjà dit que le contingent militaire était d’ordre purement défensif.

— C’est peut-être vrai. Mais en fin de compte, ce sont les chefs qui décident. Mara Jade Skywalker, Luke Skywalker, Jacen Solo… Vous êtes tous des guerriers Jedi de renom.

— Danni Quee est une scientifique accomplie, ajouta Jacen.

— Oui, son nom m’est familier. Et Soron Hegerty nous est connue aussi, bien entendu. Cela correspond aux buts que vous avez indiqués.

Pour sa part, Hegerty ne trahit aucune émotion.

— Mais vous avez aussi un Barabel parmi vous, continua Irolia.

Saba se raidit.

— Une Barabel, rectifia Luke. Et un Chevalier Jedi.

— Une guerrière, donc ?

— Pas dans le sens que vous donnez à ce terme.

— Vraiment ? Les espèces reptiliennes auxquelles j’ai eu affaire sont toutes belliqueuses !

Saba ne put s’en empêcher : elle frappa le sol de sa queue.

Yage avança.

— Dites-moi, commandant, ce que vous éprouveriez si je vous lançais à la tête que tous les Chiss que j’ai rencontrés étaient arrogants et condescendants !

Luke fit un geste apaisant.

— Saba est sensible aux formes de vie. Nous espérons qu’elle détectera Zonama Sekot grâce à son empreinte dans la Force.

— Du nouveau, jusque-là ?

— Pas encore. Voilà pourquoi nous devons persévérer.

— Très bien, maître Skywalker. J’accéderai à votre demande parce que nous voulons aussi que cette guerre prenne fin… (Irolia tendit le bras. Un de ses aides lui donna un petit paquet rectangulaire.) Ce disque mémoire contient les codes d’autorisation et les caps qui vous permettront de rallier Csilla. Ils seront actifs une semaine. Ensuite, vous devrez vous présenter en personne à qui de droit pour obtenir la permission de voyager dans nos territoires. Sans cette autorisation, votre entrée serait considérée comme une agression, et vous seriez expulsés ou éliminés. C’est clair ?

Luke prit le disque.

— Très clair.

— Alors, ma mission est terminée. Nous nous reverrons peut-être sur Csilla.

— Vous êtes venue pour ça ? demanda Yage. Pour nous ordonner d’en référer à vos supérieurs ?

— Pas du tout, répondit Irolia. J’avais ordre de vous remettre le disque seulement si je vous estimais sincères.

— Et dans le cas contraire ?

Irolia sourit. Et quitta la passerelle, suivie par ses gardes du corps.

— Ça alors ! Quelle mijaurée… !

D’un geste, Luke fit taire la capitaine Yage.

— Elle fait son boulot, Arien. Nous ne pouvons pas l’en blâmer.

— Malgré tout, je serai contente quand elle aura quitté mon vaisseau !

Un hologramme apparut sur la console.

— Je vous comprends, capitaine Yage, dit Mara. Je ne voudrais même pas de cette femme sur mon écran !

— Tu as tout entendu, Mara ? demanda Luke.

— Pour sûr !

— Ce qui m’irrite, dit Yage, c’est leur certitude que nous devons leur rendre des comptes. L’Empire a collaboré avec les Chiss pendant des années, depuis l’époque de Thrawn, mais il n’y a jamais eu de traité. Nous ne leur devons rien ! Avoir à leur rapporter nos faits et gestes me hérisse déjà le poil !

— Mais nous voilà sur leur territoire, rappela Luke. Et leur façon de faire n’est pas la nôtre.

— A supposer que nous soyons vraiment sur leur territoire…, dit Mara. Si nous visionnions ce disque ?

Jacen le prit à son oncle et l’inséra dans un lecteur. Le disque contenait des codes et des caps, rien de plus. Les Chiss ne donnaient pas facilement des informations…

L’expédition devrait s’en contenter.

— Des avis ? demanda Luke. Continuons-nous sans tenir compte de leurs exigences, ou nous y plions-nous ?

— A vous de voir, répondit Yage.

— Certes. Mais avant de trancher, j’aimerais entendre votre opinion sur la question.

— Les écouter serait irritant, dit Mara, mais je ne crois pas que ça pourrait nous nuire.

— Moi, je les enverrais volontiers au diable ! protesta Yage. Ils n’ont pas à nous dicter notre conduite !

— Jacen ? demanda Luke.

— Nous aurons besoin d’accéder à leurs informations. Les données de Soron sont exactes, mais elles couvrent seulement dix pour cent des Régions Inconnues.

Dès qu’on parla d’elle, la xénobiologiste s’anima.

— Depuis des dizaines d’années, les Chiss se répandent dans cette région de la galaxie. Irolia connaissait la légende de la planète errante. L’accès à leur base de données serait essentiel.

— Cela ferait-il pencher la balance en notre faveur, à votre avis ? demanda Luke.

— C’est possible, répondit Hegerty. Nos maigres données nous ont déjà appris des choses intéressantes. Regardez comme les frontières de leur territoire ont bien résisté à l’invasion des Yuuzhan Vong… Ou ils ont développé des techniques de brouillage et de combat similaires aux nôtres, ou l’ennemi s’est retiré pour se concentrer sur une autre région… La réponse à cette question serait importante pour vos tacticiens.

Elle avait raison : la mission de Luke était de nature militaire dans la mesure où toute information primordiale contribuerait à l’effort de guerre. Même si les communications intragalactiques n’atteignaient pas les Régions Inconnues, des transmissions subspatiales pouvaient être relayées aux confins de l’espace de l’Alliance Galactique, et de là, envoyées à Cal Omas.

— C’est peut-être exact, admit Luke. Saba, as-tu détecté des signes de Zonama Sekot dans ce secteur ? Dans ce cas, nous n’aurions pas à contacter les Chiss…

Saba se redressa.

— Si Zonama Sekot est dans le secteur, elle s’y cache bien ! Je ne perçois rien.

— Alors faisons ce qu’Irolia a demandé. Ça ne nous portera pas préjudice. Qui sait, ça pourrait même nous aider !

Luke marqua une pause. Personne n’éleva d’objection.

— Bon. Je laisse les détails à Mara et Arien. Ceux qui reviennent de Munlali Mafir auront besoin de repos avant de passer à la suite.

La capitaine Yage sourit.

— Hegerty ne vous contredira pas !

La réunion terminée, Mara et Yage s’occupèrent du cap. Saba, Jacen et Hegerty suivirent Luke jusqu’à la sortie de la passerelle.

— Jacen, demanda le maître Jedi, comment Tekli s’en est-elle tirée, avec le Jostrien ?

— Ça n’a pas été facile. Un centimètre de plus et il aurait été trop tard… Elle l’a rattrapé juste à temps !

— Bien. J’aurais détesté perdre un nouveau membre d’équipage.

— J’ai examiné les données que vous avez rapportées, maître, dit Saba. Les symbiotes jostrien/krizlaw sont agressifs par nature. Zonama Sekot semble avoir utilisé à d’autres endroits des tactiques d’évitement similaires.

— Oui, les Krizlaws sont agressifs ! Que les Jostriens leur aient apporté l’intelligence a aggravé la situation… Zonama Sekot a une forte présence dans la Force. Elle essaie peut-être de se cacher de tout ce qui est associé à la violence.

— C’est possible, admit Saba.

Il y eut un silence. Sans doute dû à la fatigue… Elle sentait l’épuisement des humains – surtout de Skywalker et de son neveu.

— Vous devriez vous reposer. Sinon, vous ne serez bons à rien.

— Tu as raison, Saba. Mais je pensais à Dif Scaur. Il a dû présenter aux Chiss sa version des faits.

Dif Scaur, le chef des Renseignements de la Nouvelle République, avait beaucoup collaboré avec les Chiss sur le virus Rouge Alpha – qui aurait pu éliminer les Yuuzhan Vong et leur biotechnologie. Que les Jedi s’y opposent avait indigné Scaur. Avide de se venger, il avait peut-être entrepris de contrarier les plans du maître Jedi…

— Nous verrons ce qui nous attend sur Csilla. Un homme averti en vaut deux, ajouta Jacen, son regard tombant sur Danni Quee, de l’autre côté de la passerelle.

— Exact, mais ne sautons pas aux conclusions.

— Sautons plutôt en l’air ! conclut Saba en sifflant d’amusement.

Comme chaque fois qu’elle s’essayait à l’humour, personne ne rit.

Tous la regardèrent bizarrement.

 

En montant à bord du Sentinelle, Tahiri fut frappée par la tension. Elle sursauta, réagissant à quelque chose qu’elle percevait dans la Force. Mais elle en ignorait la cause.

Ensuite, elle remarqua la brusquerie du salut que la princesse Leia et Yan reçurent en sortant du sas. Les gardes se redressèrent comme des marionnettes actionnées par des fils.

Pourtant, Bakura était un monde pacifique, qui n’avait plus eu de dictateur depuis que Nereus, le dernier gouverneur impérial en date, avait été destitué pendant la crise ssi-ruuvi.

Tahiri pensa que les gardes réagissaient eux aussi à la tension diffuse qui rendait tout le monde nerveux.

Un petit homme aux cheveux roux clairsemés avança entre les rangs de gardes bakuriens.

Il s’inclina devant Leia et Yan, puis adressa un signe de tête au reste de la délégation : Tahiri, Jaina, C3PO, les gardes du corps noghris de Leia, et des soldats du Sélonia.

— Grell Panib. Soyez les bienvenus à Bakura.

— Ça fait un moment…, commenta Yan.

— Vous avez servi sous les ordres de Pter Thanas, n’est-ce pas ? demanda Leia, à qui peu de choses échappaient.

Une ombre de tristesse passa sur le visage de Panib.

— Vous avez bonne mémoire, princesse. Nous nous étions à peine rencontrés.

— Mais c’était un voyage mémorable, dit-elle avec un sourire.

— Merci à tous de…, commença Panib.

Un bruit, derrière lui, l’interrompit. Quelqu’un avançait en tramant les pieds.

— Je vous avais dit d’attendre que je vous appelle !

Le cœur battant, Tahiri vit une créature reptilienne arriver en bondissant.

Quand le souvenir de ses rêves lui revint, elle tira son sabre laser.

Tahiri… Tahiri… ! appelait le dieu reptilien de ses cauchemars.

Elle cilla en s’arrachant à sa transe.

— Un piège ! cria Jaina en dégainant à son tour son sabre laser.

Les commandos levèrent leurs blasters, et les Noghris entourèrent la princesse.

— Non ! protesta Panib en s’interposant. Ses intentions ne sont pas hostiles !

Ses griffes raclant le sol, la créature s’arrêta devant le général.

Ce reptile doté d’un bec avait une longue queue musculeuse, des écailles brun terne et des yeux dorés. Il portait un harnais en cuir hérissé de divers articles, d’outils et des insignes de son rang.

— Voici Lwothin, déclara le général Panib, perturbé par la réaction de ses visiteurs. Je vous assure que…

Une série de sons perçants sortit du gosier de la créature.

Quand elle eut terminé, Yan fit mine de se frotter l’oreille.

— Quelqu’un a compris ? demanda-t-il.

— Moi, monsieur, répondit C3PO. Il annonce qu’il est le chef du Mouvement d’Emancipation des P’w’ecks, et qu’il nous salue. Il nous appelle des « alliés des peuples libres ».

La créature parla de nouveau.

— « Je ne vous veux aucun mal », traduisit C3PO.

— Voilà qui me rassure... ironisa Yan.

— Je vous prie de m’excuser, dit Panib. Les P’w’ecks ne sont pas habitués au protocole. Ayant tout récemment secoué leur joug, ils commencent seulement à se faire entendre.

Leia ordonna à tout le monde de baisser sa garde, puis elle avança vers Lwothin avec un sourire nerveux.

— C3PO, dis à Lwothin que nous sommes ravis de faire sa connaissance. A supposer qu’il s’agisse vraiment d’un « il », d’ailleurs…

— Il nous l’a dit, intervint Panib. Et inutile que votre droïd serve de traducteur. Lwothin vous comprend. Nous n’aimons guère nous servir de droïds ici. Si vous voulez, nous vous remettrons des traducteurs portatifs qui feront l’affaire.

C3PO se hérissa.

— Avec le respect que je vous dois, monsieur, j’ai été conçu pour ce type de situation. Je parle six millions de langues, et…

— Général, coupa Leia, nous pourrons nous débrouiller.

La langue-narine de Lwothin goûta l’air. Plus petit qu’un Ssi-ruu, le P’w’eck était aussi bien plus grand qu’un humain moyen. Des muscles saillants roulaient sous sa peau épaisse, et sa queue se balançait à un rythme régulier.

Tahiri la trouva encore plus inquiétante quand elle vit les yeux à trois paupières de la créature rivés sur elle… Prudente, elle garda un pouce au-dessus du bouton d’activation de son sabre laser.

— Vous avez amené des Chevaliers Jedi, ajouta Lwothin par l’intermédiaire de C3PO. J’avais espéré en rencontrer un. Le sabre laser est une arme délicieuse : un mélange élégant d’énergie vitale et de science… Dans un tel dispositif, nos technologies divergentes deviennent une.

— Vous utilisez toujours la technition ? demanda Leia, soudain tendue.

Panib s’interposa de nouveau.

— Je doute que ce soit le lieu idéal pour un débat. Allons dans un endroit plus confortable pour tout le monde. D’accord ?

— Nous n’irons nulle part avant que Leia n’ait obtenu une réponse, objecta Yan, la main sur son blaster. Pas question qu’on aspire mes forces vitales dès que j’aurais baissé ma garde !

Lwothin se lança dans une tirade exaltée.

— Il nous assure que le processus n’est plus le même, traduisit le droïd doré. Il a été considérablement raffiné. Les P’w’ecks viennent en paix.

— Leia ? demanda Yan.

— Même si tout ça me dérange beaucoup, je ne vois pas l’intérêt de reculer maintenant. (Elle se tourna vers Panib.) Mais comprenez-nous bien : l’Alliance Galactique n’acceptera jamais un accord avec un gouvernement qui exploite l’énergie vitale de ses sujets – de quelque espèce qu’ils soient.

— Vous pensez que les P’w’ecks se vengent de leurs anciens maîtres ? demanda Panib. Je vous assure que ce n’est pas le cas.

Lwothin intervint d’un ton indigné.

— Plus personne ne subit la technition contre son gré, traduisit C3PO. Nous vous expliquerons, si vous nous en donnez l’occasion.

— J’apprécierais. Et par la même occasion, vous nous expliquerez peut-être ce qui est arrivé au Premier ministre Cundertol.

Panib s’inclina.

Lwothin s’agita.

— Veuillez me suivre, dit Panib.

Yan passa un bras autour des épaules de Leia et ils emboîtèrent le pas au général.

Tahiri, Jaina, C3PO et les gardes les imitèrent.

Jaina était l’incarnation de l’énergie contrôlée : elle regardait partout – sauf en direction de Tahiri, comme si elle l’évitait délibérément.

Cela blessa Tahiri. Depuis Galantos, Jaina lui avait à peine adressé la parole. Idem pour Jag Fel… De temps à autre, elle avait la nette impression qu’ils la surveillaient du coin de l’œil.

Sentir à ce point leur défiance à son égard l’attristait énormément.

Les cicatrices, sur son front, la démangèrent. La jeune femme résista à l’envie de se gratter. Elle ne voulait pas attirer l’attention sur ces marques hideuses. Celles qu’elle s’était infligées sur les bras avaient guéri. De toute façon, ses manches dissimulaient leurs ultimes traces aux regards indiscrets. Elle avait envisagé un recours à la chirurgie esthétique pour les faire entièrement disparaître. Poussée par un instinct qu’elle ne comprenait pas vraiment, elle avait finalement décidé de s’en abstenir. En tout état de cause, elle n’avait pas le temps d’y repenser. Il y avait plus important…

 

Le Sentinelle comportait une salle de réunion sise sur un pont périphérique, sa verrière transparente offrant une vue magnifique sur les étoiles. En situation de combat, les boucliers en permacier se refermaient. Sinon, la verrière permettait d’admirer Bakura. Telle une grosse lune, le monde bleu-vert était comme suspendu au-dessus de la table de conférence circulaire qui flottait sur une plateforme à répulseurs.

Tout le monde prit place.

Les mains sur la garde de son sabre laser, Jaina resta debout derrière ses parents. Elle n’aimait pas se retrouver si loin des renforts dans une situation pareille, mais avoir son arme sous la main la rassurait. Les Ssi-ruuk usaient volontiers de la coercition mentale. Qui savait si le général Panib n’était pas leur esclave, guettant l’occasion de livrer les délégués de l’Alliance Galactique à ses maîtres ?

La présence des P’w’ecks inquiétait Jaina. Son malaise avait augmenté quand deux autres créatures s’étaient jointes au groupe – des gardes du corps, apparemment. Campés derrière leur supérieur, ils portaient des armes bizarres suspendues à leurs harnais : des objets ronds et plats pourvus d’un bec latéral saillant. Des disques-mort, en quelque sorte…

Le rayon d’énergie de ces armes était impossible à parer avec un sabre laser, mais il pouvait être légèrement dévié.

Le corps de Lwothin ne lui permettant pas de s’asseoir sur une chaise normale, il était affalé sur des coussins. Ça ne le rendait pas moins menaçant…

— Blaine Harris, le Premier ministre adjoint, revient de Salis D’aar, déclara Panib. Mais nous commencerons sans lui.

— Nous vous écoutons, dit Yan.

— Vous êtes arrivés à un moment très délicat pour nous, admit Panib. Je me demande par où commencer.

— Avec la technition, peut-être…, suggéra Leia.

— A vos yeux, c’est une abomination, dit Lwothin, toujours traduit par C3PO. Et je comprends vos sentiments. Mon espèce en a été la victime pendant des milliers d’années. Nous savons quel mal elle a fait.

— Possible, répondit Yan, mais j’ai vu beaucoup d’esclaves affranchis retourner contre leurs anciens maîtres les armes dont ils avaient souffert.

— Je reconnais que la tentation a été forte, dit Lwothin. Mais laissez-moi vous raconter comment nous sommes venus ici. Vous comprendrez mieux ensuite.

« Il y a presque trente ans que l’Imperium ssi-ruuvi a fait la guerre dans ce secteur de la galaxie…

Jaina connaissait l’histoire. Avec l’aide de l’Alliance Rebelle, le gouvernement impérial du secteur de Bakura avait repoussé l’incursion des Ssi-ruuk dans les territoires impériaux. Ensuite, la Nouvelle République avait découragé les velléités d’annexion territoriale de l’Imperium. Depuis, on n’avait plus entendu parler des Ssi-ruuk.

Tout le monde supposait qu’ils avaient compris leur erreur… ou se préparaient à une attaque en force.

Comme les Yevethas, pensa Jaina.

— En fait, enchaîna Lwothin, après leur défaite, nos anciens maîtres ont réévalué davantage que leur tactique…

La société ssi-ruuvi était basée sur un système clanique, chacun se reconnaissant à la couleur de ses écailles. Le chef suprême, le Shreeftut, s’aidait du conseil des Anciens et du Conclave. Le Conclave le conseillait sur les questions spirituelles – considérées comme vitales par les Ssi-ruuk. Ils étaient persuadés que tout Ssi-ruu mourant sur un monde non consacré était perdu à jamais. Voilà pourquoi ils préféraient lancer contre l’ennemi des droïds alimentés par l’esprit technitionné de leurs prisonniers plutôt que risquer leurs vies eux-mêmes.

— La technition a servi nos maîtres pendant des siècles. Ils n’avaient aucune raison de changer. Votre horreur, devant cette technologie, a été une grande surprise pour eux. Ils supposaient que toutes les cultures employaient des techniques similaires.

« L’Alliance Rebelle a battu nos anciens maîtres pour des raisons plus complexes qu’une technologie différente, mais ils pouvaient au moins se concentrer sur cet aspect. Ils avaient vu les vaisseaux impériaux et ceux de l’Alliance en action autour de Bakura. Et ils s’y connaissaient assez en physique pour les reproduire. Dix ans plus tard, ils avaient mis au point des prototypes de navires hybrides fonctionnant avec votre science pour les boucliers et les moteurs, mais toujours commandés par des esprits technitionnés. Leur force vitale étant moins sollicitée, ces pilotes vivaient plus longtemps en souffrant beaucoup moins.

— Mais ils étaient toujours technitionnés, insista Yan.

— Oui. L’esprit qui dirigeait ces chasseurs restait une âme volée au corps d’un P’w’eck… Ils souffraient moins, mais plus longtemps. C’était mal.

« A cette époque naquit le Keeramak.

— C’est quoi ? demanda Leia.

— Difficile à expliquer dans des termes que vous puissiez assimiler… Vous savez que les Ssi-ruuk à écailles bleues gouvernaient l’Imperium, ceux à écailles dorées étant nos prêtres. Les écailles jaunes étudiaient la matière et l’énergie. Les rousses étaient nos guerriers, et les vertes, les ouvriers. Sous eux – à peine au-dessus de ma propre espèce –, venaient les rejetons d’alliances ratées, les écailles brunes. On les a même crus à l’origine du peuple des P’w’ecks, il y a longtemps. Considérés comme des brutes épaisses, ils étaient condamnés à une existence servile. Beaucoup furent tués à la naissance.

« Voilà le monde où naquit le Keeramak. Il importe que vous le compreniez, car il ne devrait pas exister. Dans une portée de Ssi-ruuk à écailles brunes, le Keeramak ne possédait pas une seule couleur mais toutes ! Cela le rend bien entendu unique au sein des Ssi-ruuk.

« A l’évidence, le Keeramak était un greffon anormal. Pas de sexe défini, une taille exceptionnelle… Mais peu importait. Son apparition secoua l’univers des Ssi-ruuk. Pour eux, les questions spirituelles sont primordiales, comme vous le savez, et cette naissance avait été prédite depuis des millénaires. Le Keeramak, l’être aux multiples couleurs, transformerait les opprimés en seigneurs.

— Vous dites que les Ssi-ruuk ont suivi le Keeramak parce qu’il les conduirait à la victoire contre nous, intervint Yan. C’est bien ça ?

— Oui. Ils l’ont élevé comme un roi, lui accordant tous les privilèges, et lui permettant d’apprendre et de prospérer. Le Keeramak se montrait exceptionnel à tout point de vue : il était fort, intelligent et sage. Il débattit avec le Shreeftut des limites du pouvoir, il défia le Conclave sur des sujets théologiques et il rivalisa d’arguties juridiques avec le conseil des Anciens… Mais sa plus grande force, sa compassion, signa la perte des Ssi-ruuk.

— Il vous a choisis, au lieu d’eux ? demanda Leia.

— Le Keeramak nous accorda la victoire sur nos anciens maîtres. Il organisa notre révolte puis consolida nos acquis. En moins d’un an, Lwhekk était entre nos mains, et l’Imperium appartenait au passé. Maintenant, cinq ans plus tard, le Keeramak guide toujours nos pas.

— Impressionnant, dit Leia. Détrôner un tyran est le début d’un processus long et difficile.

Elle parlait par expérience. Jaina le savait.

— Après notre libération, nous avons continué les recherches sur la technition, enchaîna Lwothin. (C3PO traduisait toujours.) Et découvert comment nourrir les esprits stockés, récupérés pendant notre révolution. L’énergie vitale distillée par des composés d’algues et d’autres formes de vie primitives empêche une décrépitude jadis inévitable. Elle permet aussi d’alléger grandement l’inconfort éprouvé par les êtres technitionnés. Maintenant que la majeure partie du travail est assurée par des machines fonctionnant selon votre technologie, nous avons éliminé une bonne partie du préjudice causé aux prisonniers et aux esclaves.

« Les chasseurs droïds que vous avez vus aujourd’hui sont pilotés par les individus technitionnés lors des derniers jours de l’Imperium. Nous continuons à proposer la technition comme une forme de service armé, mais peu de volontaires décident de sacrifier leurs corps. Le processus est irréversible. Une telle décision ne se prend pas à la légère.

— J’en suis convaincue, dit Leia.

Au ton de sa voix, et à la rigidité de ses épaules, Jaina comprit que sa mère n’était pas entièrement convaincue par les explications de Lwothin – même si elles correspondaient aux sentiments bizarres détectés chez les chasseurs droïds.

— Général Panib, allez-vous corroborer les affirmations de Lwothin ? Personne n’a été technitionné contre son gré ?

— Aucun de nous n’a été technitionné, si c’est ce que vous voulez savoir, répondit le général. Nous n’avons été victimes d’aucune agression. Mais…

— Oui ? l’encouragea Yan.

— Hum… Comme je le disais en préambule, vous êtes arrivés au plus mauvais moment… Il y a deux semaines, les P’w’ecks se sont présentés à nous avec un traité. Le Premier ministre Cundertol et le Sénat ont délibéré des jours durant avant d’accepter leur offre. L’annonce du Premier ministre a provoqué quelques émeutes… Il est difficile de convaincre le peuple que nous ne l’avons pas vendu à l’ennemi.

— Je comprends ça, marmonna Yan.

— Nous pensions que la population commençait à comprendre, continua Panib. Vu que les Yuuzhan Vong se rapprochent de cette région, les avantages défensifs d’une alliance avec les P’w’ecks sont évidents. Et nous leur sommes reconnaissants de nous avoir débarrassés de la menace ssi-ruuvi. Mais il y a des complications – et des conditions.

— Par exemple ? demanda Leia.

— Lwothin a parlé de la religion. Les P’w’ecks partagent des traditions avec les Ssi-ruuk. Pour qu’ils se sentent à l’aise, nous devons nous occuper de certains détails. Cundertol voulait que leur Keeramak vienne à Bakura signer le traité en personne, mais il refuse de le faire si Bakura n’est pas consacrée. Comme tout Ssi-ruuk, il croit que s’il meurt loin d’une planète consacrée, son âme sera perdue. Et vu les troubles actuels, un assassinat n’est pas exclu… Nous sommes voisins. Il nous faut apprendre à travailler et à nous battre côte à côte. Si Bakura et les P’w’ecks doivent collaborer, à nous de respecter leurs croyances. Nous sommes arrivés à un compromis : le Keeramak viendra sur Bakura pour la consacrer. La cérémonie est prévue dans deux jours. Nous en étions là quand…

— … Quand le Premier ministre Cundertol a disparu !

Jaina se retourna. Vêtu d’une robe écarlate, un homme de haute taille et d’âge mûr apparut à l’entrée de la salle. Il avait un visage long et osseux.

Leurs fusils en travers de la poitrine, deux gardes bakuriens le suivaient.

— Le Premier ministre adjoint Harris, dit Panib en se levant. Merci de vous être joint à nous.

— Princesse Leia, capitaine Solo, c’est un plaisir de vous revoir. Vous aussi, Lwothin.

Un assistant lui apporta une chaise. Il s’assit entre le P’w’eck et Leia.

— Désolé pour le retard, mais il y a eu une alerte à la bombe au spatioport central. J’ai dû prendre une navette pour venir de Lesser Grâce. Comme vous le voyez, des troubles ont éclaté… Ils sont le fait d’une minorité de mécontents, violents et sans principes, qui pensent savoir ce qui est mieux pour Bakura. Ils ont décidé que les P’w’ecks n’étaient pas différents des Ssi-ruuk, et que la visite du Keeramak est une ruse destinée à nous technitionner tous. Impossible de leur faire entendre raison ! (Il regarda Leia et Yan.) On dit que vous auriez été victimes d’un de leurs sabotages ?

— Une transmission sécurisée a été interrompue par quelqu’un qui voulait notre départ, répondit Leia. Cette personne avait accès à des fréquences qui auraient dû être protégées.

— Ils sont partout ! pesta Harris. Plus la consécration approche, plus ils s’agitent… Enlever Molierre Cundertol était de la provocation. C’est bizarre… Je condamne leurs méthodes, mais j’admire leur cran. Néanmoins, nous ne négocierons pas avec des terroristes.

— Et Cundertol ? demanda Yan. Savez-vous où il est détenu ?

— Nous le découvrirons bientôt. Surtout maintenant que nous tenons le chef des terroristes.

— Depuis quand ? demanda Panib, soufflé.

— Elle vient d’être arrêtée et a été placée dans une cellule de haute sécurité, en attendant son interrogatoire.

— Est-elle… la personne que nous pensions ? demanda Panib.

— Malinza Thanas, oui, répondit Harris avec un sourire suffisant.

Ce nom surprit tout le monde. Malinza Thanas était la fille de gens qu’oncle Luke, Yan et Leia avaient rencontrés sur Bakura lors de leur première visite. Après la mort des parents de Malinza, Luke et Mara avaient pris l’orpheline sous leur protection, revenant régulièrement la voir.

Comment imaginer qu’elle ait pu devenir la chef de terroristes !

— Malinza ? demanda Leia. Vous êtes sûr ?

— Il n’y a aucun doute, répondit Harris. Elle a reconnu les faits.

— Elle a avoué avoir enlevé le Premier ministre ? insista Panib.

— Pas encore, mais ce n’est qu’une question de temps.

— Quand vous dites que vous voulez l’interroger…

— Je ne parle pas de torture, princesse, assura Harris. Nous sommes un peuple civilisé.

— Ça ne colle pas, intervint Yan. Notre détracteur croyait que nous en avions après les vaisseaux… Il a insinué que les P’w’ecks étaient vos alliés. Mais ça contredit ce que vous venez de nous dire sur les terroristes. S’ils étaient anti-P’w’ecks, pourquoi s’associeraient-ils à eux ?

— Que vous répondre ? Ils sont plongés dans la confusion, et leurs buts ne sont pas clairs, même à leurs propres yeux. (Harris haussa les épaules.) Depuis notre rejet de l’Empire, nous avons eu des problèmes avec les groupes isolationnistes. Certaines factions ne veulent pas entendre parler d’alliance avec la Nouvelle République, et ils se sont peut-être unis au mouvement anti-P’w’eck pour se donner l’illusion du nombre. Ces gens-là ne seront pas satisfaits avant que Bakura ne reste seule face à la Galaxie… Et périsse seule, inévitablement !

— Que faire ? demanda Panib.

— Tout d’abord, général, il s’agit de remettre nos affaires en ordre. Pendant que nous cherchons le Premier ministre, je suggère de lever la loi martiale et de préparer la consécration. Le traité en dépend. Avec votre permission, je voudrais réunir le Sénat.

— Bien entendu, répondit le général. Nous avons beaucoup à faire, et peu de temps…

— C’est un moment difficile pour vous, nous le comprenons, coupa Lwothin. Et nous vous savons gré de vos efforts pour amener nos gouvernements à collaborer. Je transmettrai au Keeramak que tout est en ordre et que la cérémonie aura lieu comme prévu.

— Merci, mon ami, répondit Blaine Harris. (Il se tourna vers Yan et Leia.) Bien entendu, vous êtes les bienvenus à la cérémonie. Ce sera, j’en suis sûr, une approche intéressante de cette culture.

— Nous en serons honorés, dit Leia.

Le général Panib se leva.

— J’espère que vous ne serez pas vexés si je déclare cette réunion terminée ? J’ai des questions urgentes à voir avec le Premier ministre adjoint.

— Bien entendu, répondit Leia. Merci d’avoir pris le temps de nous exposer la situation. Il reste des aspects obscurs dont j’aimerais reparler avec vous, dès que vous le pourrez.

— Avec plaisir. (Le général affichait une assurance qu’il n’avait pas montrée avant l’arrivée de Harris.) Avec Thanas sous les verrous, les choses devraient se calmer.

Leia s’inclina et Harris fit de même. Puis la princesse et son groupe se dirigèrent vers la sortie. Lwothin et ses gardes du corps les suivaient de près. Jaina se plaça entre ses parents et le puissant saurien.

Dehors, le P’w’eck parla de sa voix forte et mélodieuse.

— Lwothin dit que c’est un moment crucial pour nos espèces, traduisit C3PO. Et il se félicite que vous ayez décidé d’assister à la cérémonie. Le Keeramak se réjouira en apprenant la nouvelle.

Le P’w’eck partit sans attendre la réponse.

— Un type jovial, n’est-ce pas ? lança Yan.

— Quelque chose ne colle pas, dit Jaina. Comment la résistance bakurienne peut-elle être partout et constituer quand même une minorité ?

— Troubles maximaux pour un effort minimal, avança Leia. Ça pourrait être le travail de la Brigade de la Paix.

— Ou de ce qu’il en reste, marmonna Yan.

— Cette fois, nous n’arrivons pas trop tard, rappela Jaina, la destruction de N’zoth encore présente à l’esprit.

— A supposer, conclut Leia, qu’on nous ait dit toute la vérité.

 

— L’histoire, Yu’shaa ! Racontez-la-nous, murmurèrent les acolytes réunis dans la salle d’audience obscure. Parlez-nous des Jeedai

Assis sur son trône, le visage caché par un masque oogliht couvert de cicatrices, le Prophète regarda ses fidèles.

— Qui le demande ? fit-il, suivant le protocole.

— Nous le demandons, Yu’shaa, répondirent les pèlerins. Nous sommes les Honteux, venus recueillir vos paroles de sagesse.

Le Prophète hocha la tête. Dehors, des gardiens avaient appris au public comment et quand parler.

L’être masqué sourit. Ces simagrées servaient seulement à encourager ses ouailles à lui obéir et à les inciter à se rebeller contre ses ennemis.

Nom Anor se leva et retira son masque, censé représenter Shimrra et les dieux. L’enlever symbolisait le rejet des anciennes mœurs. Avec l’aide de Shoon-mi et de Kunra, il avait conçu tous les détails de la cérémonie. Il se sentait maladroit en effectuant le rituel, mais ça marchait – il suffisait de voir les réactions des convertis.

Les acolytes découvrirent le « véritable » visage de Nom Anor, sans se douter que c’était aussi un masque – un ooglith conçu pour le faire ressembler à un membre de la caste des Honteux.

— Les dieux m’ont accordé une vision, dit-il. Celle d’une galaxie où les Yuuzhan Vong vivent en paix, libérés de l’opprobre, et avec tout ce que leurs cœurs désirent.

Au fil des semaines, Nom Anor avait appris à s’animer en parlant. Il s’était rapidement aperçu que l’attention des Honteux baissait quand il s’adressait à eux de sa voix monotone. Il avait donc adopté certaines techniques de Vuurok I’pan – un conteur du groupe de Honteux qui l’avait accueilli lors de son exil dans les profondeurs de Yuuzhan’tar. Nom Anor se souvenait de la manière dont il racontait l’histoire de Vua Rapuung. Alors que ses auditeurs l’avaient déjà entendue des dizaines de fois, ils étaient suspendus à ses lèvres…

— Mais, continua Nom Anor, une ombre s’est glissée entre mes yeux et les mondes qui auraient dû nous appartenir… Immense, elle avait des pupilles où brillaient des arcs-en-ciel, et ses mains puissantes étaient tachées de sang !

« Les dieux s’opposèrent à la grande ombre aux yeux d’arc-en-ciel, et lancèrent contre elle leurs guerriers sacrés.

« Vous connaissez le nom de ces guerriers…

— Les Jeedai ! murmura la foule.

Le Prophète se pencha comme pour lui livrer un grand secret.

— Oui, les dieux ont envoyé les Jeedai chasser l’ennemi aux yeux d’arc-en-ciel. Ils se battirent longtemps. L’ombre en tua beaucoup, et la nuit tomba sur la galaxie. La guerre parut perdue. Notre foyer nous avait été enlevé ! Les Yuuzhan Vong n’avaient plus la faveur des dieux, car ils s’étaient humiliés sur l’autel de l’ombre !

— Non…, gémit un disciple.

D’où il était, Nom Anor sentait l’odeur du bras pourrissant du Honteux.

Il sourit intérieurement. Imposer sa volonté à la population d’hérétiques qui infestait la capitale était un jeu d’enfant. Ils étaient faibles et désespérés, et lui fort et plein de ressource.

— Non ! Au moment où le désespoir s’emparait de moi devant la défaite des Jeedai, les dieux me redonnèrent l’espoir. Car je vis les herbes du champ se dresser contre l’ombre aux yeux d’arc-en-ciel. Elles s’enroulèrent autour des pieds de l’ennemi, et il trébucha. Elles ligotèrent ses membres puissants, lui serrèrent la gorge et lui ôtèrent la vie !

« Chaque brin d’herbe est faible. Ensemble, ils deviennent redoutables !

La congrégation soupira de satisfaction et de joie.

— Soyons semblables à cette herbe, et enroulons-nous autour des pieds de notre ennemi pour entraîner sa chute. Isolés, nous sommes faibles, mais ensemble, nous vaincrons !

Les fidèles manifestèrent leur accord. Nom Anor était ravi de leur approbation. Dans ses fonctions d’exécuteur, il n’avait jamais eu un tel auditoire, ni pu parler librement, de crainte d’offenser le maître de guerre, les prêtres, ou les dieux…

Maintenant, il monopolisait l’attention de centaines de gens !

Avisé, il savait pertinemment que ça durerait tant qu’on approuverait son message. Pas davantage. Les pèlerins gobaient ses stupidités sur les Jedi et ses métaphores faussement profondes – du genre « l’union fait la force ». Et si Nom Anor ne croyait pas aux sornettes qu’il débitait sur les Jedi, il comptait beaucoup sur son message corollaire. Les Honteux lui permettraient un retour triomphal dans la société vong. Il leur donnait les moyens d’agir pour arriver à ses propres fins.

Jusque-là, il n’avait jamais prêté attention aux besoins et à la force des castes inférieures. Pris individuellement, les Honteux étaient faibles – comme Nom Anor le rappelait continuellement dans ses sermons. Mais ils étaient nombreux. Ils venaient presque tous de la caste des travailleurs – mais certains étaient originaires de sphères plus élevées.

En outre, les Honteux n’étaient pas les seuls à participer à ces réunions. Les convertis au culte des Jedi appartenaient maintenant à des castes normales : des modeleurs, des guerriers, des prêtres et des intendants… Si quelqu’un voulait attaquer une réunion, il aurait affaire à forte partie.

Même si se le rappeler était parfois difficile, ses partisans n’étaient pas particulièrement crédules, idiots ou analphabètes. Mais ils avaient besoin d’autorité. Et il était prêt à la leur donner.

Quand les murmures cessèrent, Nom Anor invita l’auditoire à se rapprocher de lui. En réalité, la « salle » était un grand sous-sol, à des centaines de mètres de profondeur des flèches de Yuuzhan’tar, et le « trône » une chaise couverte de mousses multicolores – ça faisait plus chic. Mais peu importait. La congrégation voyait ce qu’elle souhaitait voir, et entendait ce qu’elle voulait entendre.

Nom Anor se pencha.

Il était temps de délivrer le Message.

— Combien d’entre vous ont rencontré les Jeedai ? Combien ont reçu le message de leurs bouches ?

Il attendit. Comme d’habitude, personne ne dit rien. Aucun Honteux n’avait rencontré un des êtres qu’ils vénéraient.

— J’ai rencontré les Jeedai, dit-il. J’ai posé mon regard sur les Jumeaux et vu leur pouvoir. Je me suis posé des questions au sujet de la Jeedai-qui-fut-modelée. J’ai été témoin de la mort du plus grand d’entre eux, Anakin Solo. Il s’est sacrifié pour ceux qu’il aimait. Et j’ai parlé à leurs aînés et entendu leur message de mes propres oreilles. Si ce que je dis n’est pas la vérité, que les dieux me foudroient et effacent ce blasphème du cœur de la galaxie !

Nom Anor sentit la congrégation retenir son souffle. Il réprima un sourire. Il voulait que les acolytes comprennent qu’ils redoutaient toujours les anciens dieux. Que les vieilles habitudes avaient la vie dure.

Voir avec quelle aisance il manipulait les émotions de ses ouailles l’amusait. Au fond, il ne proférait pas de mensonges. Il avait vraiment rencontré des Jedi au cours de sa vie… mais pas en tant qu’allié. Et il ne s’était jamais posé de questions sur leur philosophie, cherchant simplement à les détruire.

Comme le silence s’éternisait, Nom Anor reprit la parole pour raconter l’histoire de Vua Rapuung, le Honteux qui avait trouvé la rédemption grâce aux actions du Jedi Anakin Solo. Son public la connaissait déjà, bien entendu. Mais cette version était « officielle », puisque enseignée par le Prophète. Elle contenait les détails corrects, dans le bon ordre, et délivrait le message approprié au moment le plus opportun.

En tout cas, c’était l’intention de Nom Anor. Ceux qui l’écoutaient partaient répandre le Message. Pourtant, tous savaient qu’être associé au Prophète pouvait signifier la torture et la mort. Jaloux, les gardiens des anciens dieux ne toléraient pas qu’on se moque de leurs croyances.

A quel point le culte s’était-il répandu ? Difficile à dire… Shimrra perdait-il sa concentration pendant ses flagellations quotidiennes, quand il repensait à l’étendue de la corruption ?

Nom Anor pouvait seulement l’espérer.

— … et l’hérésie Jedi aurait pu finir là, si elle n’avait eu des témoins : les Honteux, cachés par le damutek des modeleurs. Ils répandirent le Message, qui ne cesse de se diffuser depuis… Il existe une autre façon de vivre, qui amène à l’acceptation, et un nouveau mot pour dire « espoir » : Jeedai.

Marquant une pause, Nom Anor aspira une gorgée de liquide du bulbe de boisson que Shoon-mi avait laissé à sa portée avant l’arrivée des acolytes. La fin de l’histoire était identique à celle qu’il avait entendue de la bouche d’I’pan. Il la racontait ainsi pour se souvenir de son origine, et du sort d’I’pan… Sa mort, provoquée par des guerriers en quête de provisions volées, avait galvanisé Nom Anor, l’incitant à passer à l’action. Sans ce drame, il aurait peut-être vécu dans l’anonymat, attendant la fin, au lieu de se forger une nouvelle vie.

— Je suis prêt à répondre à vos questions, maintenant.

Il y en avait toujours.

— Yun-Yuuzhan a-t-il créé les Jeedai ? cria une femme.

— Yun-Yuuzhan a créé tout ce qui existe, y compris les Jeedai. Ils sont autant ses enfants que nous. Cela peut sembler étrange, mais rappelez-vous que nous ne pouvons jamais connaître les plans de Yun-Yuuzhan dans leur ensemble. Devant lui, nous sommes comme des ghazakls… Un de ces vers comprendrait-il la tâche la plus simple que nous effectuons ?

— Sont-ils des enfants de Yun-Shuno ? demanda quelqu’un, aux derniers rangs.

— Les êtres différents se réfèrent à des dieux différents. Les Jeedai jumeaux, Jaina et Jacen Solo, sont souvent associés aux dieux jumeaux, Yun-Txiin et Yun-Q’aah. Jaina est aussi assimilée à Yun-Harla, la Fourbe. Les Jeedai, des guerriers disciplinés, ont la faveur de Yun-Yammka, le Tueur. Ils révèrent la vie comme Yun-Ne’Shel, le Modeleur. Le sacrifice au nom de l’intérêt général fait partie de leurs enseignements, comme pour Yun-Yuuzhan. Et ils ont aussi agi au nom des Honteux, comme Yun-Shuno.

« Mais ce sont surtout des êtres mortels comme nous, non des dieux invulnérables – pas plus que Shimrra. J’en ai vu mourir de mes propres yeux. Des récits font même état de Jeedai maléfiques. Ils sont donc autant faillibles que nous. C’est leur enseignement que nous devons suivre pour acquérir leur force, et être de nouveau acceptés comme égaux.

— Yu’shaa, la Force, c’est quoi ?

Nom Anor fit mine de réfléchir avant de répondre. En réalité, il y avait longuement pensé. Les effets de la Force dont il avait été témoin lui restaient incompréhensibles. Mais une chose était sûre : les Chevaliers Jedi avaient accès à une puissance dont les Yuuzhan Vong étaient manifestement coupés.

Un constat troublant. Si, comme les Jedi l’affirmaient, les Yuuzhan Vong ne possédaient pas cette mystérieuse énergie vitale présente dans la galaxie qu’ils avaient envahie, fallait-il en déduire qu’eux-mêmes, leurs dieux et leurs réalisations étaient aussi inertes et stériles que les machines qu’ils méprisaient tant ?

Selon Nom Anor, il y avait deux solutions. Accepter les enseignements des Jedi et essayer de comprendre où était le problème – voire échapper à la « non-vie ». Ou apporter la preuve que les Yuuzhan Vong n’étaient pas entièrement coupés de cette Force omniprésente.

— La Force est un aspect de la création, au même titre que la matière et l’énergie. On nous a appris que Yun-Yuuzhan était la source de toute vie. Au prix de grandes douleurs, il a créé les dieux mineurs et les Yuuzhan Vong. Nous sommes partis du principe que ce sacrifice était celui de son corps – comme ses fidèles offriraient en son honneur un bras ou un millier de prisonniers. Mais pourquoi Yun-Yuuzhan aurait-il limité sa générosité au visible ou au tangible ? Le vent, invisible pour nous, vient aussi de Yun-Yuuzhan… La Force fait partie de cette création.

— Mais qu’est-elle, exactement ?

— Je ne peux répondre à cette question, mes amis, car tout comme vous, j’ignore la réponse. La Force est un mystère qui nous hantera sans doute à jamais. Nous tâtonnerons dans le noir, en espérant découvrir par hasard ce qui nous manque.

Nom Anor baissa la voix.

— Jusque-là, j’ai découvert deux choses que je voudrais vous soumettre. D’abord, notre façon de faire et celle des Jeedai ne sont pas nécessairement antinomiques. Contrairement à ce que croient certains, je ne propose pas de remplacer notre panthéon par celui des Jeedai et de la Force. Mais au même titre qu’eux, nous sommes les prophètes d’une nouvelle façon de vivre.

Il marqua une pause – pas assez longue pour qu’on puisse poser des questions.

— Ma seconde découverte est une simple hypothèse. J’ai dit que Yun-Yuuzhan avait peut-être sacrifié davantage que son corps pour créer l’univers. Serait-il possible que la Force soit l’âme de Yun-Yuuzhan ?

Nom Anor se redressa et attendit. Ses déclarations avaient-elles un sens ? Au fond, il l’ignorait. En tout cas, son auditoire sembla trouver l’idée très profonde.

Ces questions étant les plus difficiles, Nom Anor se félicita d’en être provisoirement débarrassé – jusqu’à la prochaine harangue.

S’il en croyait son expérience, les suivantes deviendraient plus banales.

— Qui êtes-vous, Yu’shaa ? demanda un guerrier défiguré.

— L’un des vôtres. Je n’ai rien de remarquable excepté ma volonté de prendre la parole contre ceux qui nous ont humiliés.

— D’où venez-vous ?

— Comme vous tous, je suis né et j’ai grandi sur un des nombreux vaisseaux-mondes qui ont traversé le gouffre intergalactique pour gagner la terre promise par nos ancêtres.

C’était la vérité, bien sûr, mais une partie seulement… Nom Anor avait fait office d’éclaireur. Il était arrivé bien avant les premières vagues de la migration. Sa mission ? Glaner des informations sur les gouvernements et les espèces de cette galaxie. Il avait préparé le terrain pour les agents, semant les graines de la discorde aux bons endroits.

Ces graines avaient germé, les rébellions et les contre-rébellions déstabilisant la Nouvelle République. Pendant la guerre, il avait contribué à fonder la Brigade de la Paix qui avait tant nui à la cause des Jedi, et lancé bien d’autres séditions.

Mais ça, il ne le leur dirait jamais !

— La guerre est-elle mauvaise ? demanda un disciple, les yeux écarquillés.

Une question épineuse. Etre pro-Jedi ne voulait pas nécessairement dire que la galaxie n’était pas destinée à devenir le nouveau foyer des Yuuzhan Vong, ni que combattre l’Alliance Galactique était un mal.

Etre pro-Jedi et en faveur de la guerre n’avait rien d’inconcevable.

Mais les Yuuzhan Vong étaient en passe de perdre cette guerre… Le régime du seigneur suprême Shimrra reposait sur le mensonge, la trahison, la corruption. Sans changement radical de direction, l’Alliance Galactique l’emporterait.

Pour les adorateurs de Yun-Yammka, le dieu du carnage, perdre la guerre était inconcevable. On gagnait ou on mourait. Il n’y avait pas d’autre alternative. Faute de réussir à vaincre l’Alliance Galactique, les Yuuzhan Vong se battraient jusqu’à la mort, et ce serait la fin de tout ce qui importait pour Nom Anor. Son seul espoir ? Changer le cours des choses – de l’intérieur. Les Jedi seraient-ils prêts à attaquer s’ils apprenaient qu’ils avaient des partisans au sein même des Yuuzhan Vong ?

Nom Anor en doutait. Ces guerriers s’encombraient d’une grande compassion…

— La guerre est une aberration, répondit-il. Un odieux mensonge. Nous n’aurions jamais dû combattre les Jeedai, puisqu’eux seuls parlent pour ceux qui n’ont pas de voix – nous ! Nous ne devrions pas non plus combattre les alliés des Jeedai mais au contraire ceux qui utilisent la peur et la trahison pour continuer à opprimer les faibles, et qui frapperaient Yun-Yuuzhan lui-même par cupidité !

« Défendre ce qui nous appartient est notre droit, mais assurons-nous d’abord de le faire pour les bonnes raisons. Il faut savoir qui est l’ennemi : la Honte. Ensemble, comme les brins d’herbe, nous mettrons à tout jamais un terme à l’opprobre qui nous accable injustement !

Les disciples réagirent avec enthousiasme. Nom Anor sourit. Il les tenait ! Désormais, ils ne reculeraient devant rien pour lui.

— Que devons-nous faire, Prophète ?

Nom Anor chercha qui avait parlé. Le Honteux au bras nécrosé… et qui avait le regard fou d’un fanatique.

— Vous êtes parmi les premiers à recevoir le Message, répondit Nom Anor. Votre devoir est de le transmettre à d’autres, pour qu’eux aussi comprennent. Le Message se répandra comme une crue et nous lavera tous de notre Honte.

Un murmure d’approbation courut dans la foule.

— Certains entendront le Message mais ne feront rien, continua Nom Anor. Ceux-là m’inspirent de la pitié. Le Message n’a de valeur que s’il est compris ! Se taire revient à se faire complice de l’ennemi…

Il était temps de terminer la réunion.

Il avait dit tout ce qu’il tenait à dire.

— Mes amis, j’ai peur pour vous tous. Même si nous avons le bon droit de notre côté, nous affronterons de grands dangers. Si notre existence venait à être connue dans les plus hautes sphères, nous serions traqués et exterminés sans pitié. Je vous demande donc d’être très prudents quand vous répandrez le Message. Avec de la patience et de la persévérance, nous vaincrons ! Allez maintenant, confortés par l’idée que la force et l’esprit de la liberté sont avec nous !

Nom Anor se leva, les bras en croix, comme pour les étreindre tous. A ce signal, les portes du fond s’ouvrirent et les acolytes sortirent un par un. Incarnation vivante de la bienveillance et de la confiance, le Prophète garda le sourire le temps que la salle se vide. Il n’avait pas toujours aussi bien traité les subalternes : à une époque, il les aurait renvoyés avec des malédictions et des menaces, se fiant à la peur pour les garder sous sa coupe. Mais avec les Honteux, ça n’aurait pas marché. Il avait appris à ses dépens que la peur ne fonctionnait plus, quand elle devenait un mode de vie et qu’il ne restait rien à perdre…

Alors, la seule façon de mobiliser les bonnes volontés n’était plus le bâton mais la carotte.

Nom Anor se rassit.

Partez… Vous êtes désormais les instruments de mon autorité, et le tremplin qui me permettra d’atteindre une gloire méritée…

— Un bon auditoire, Yu’shaa ?

Il releva la tête vers Kunra, son garde du corps – et parfois, la voix de sa conscience. Le plus fidèle de ses acolytes, Shoon-mi, le suivait. Il portait les robes d’un prêtre, mais sans les insignes des dieux yuuzhan vong. Dissimulant ainsi sa couardise, Kunra ne portait pas d’armure.

Connaissant leurs véritables personnalités, Nom Anor jugea qu’ils faisaient un entourage bien médiocre pour un révolutionnaire. Mais les convertis les appréciaient.

— Rien de spécial, répondit-il de sa voix rauque. Nous perdons en qualité ce que nous gagnons en quantité. Certains paraissaient si mal en point qu’on les aurait cru prêts à tomber raides morts.

— Je vous prie de me pardonner, maître, dit Shoon-mi. Je ne me suis pas permis de rejeter ceux qui manifestaient le désir de savoir.

— Bientôt, tu le devras, Shoon-mi.

Malgré son irritation, Nom Anor était ravi de la manière dont le mouvement grandissait.

— Il serait temps de commencer à entraîner les Elus. Tu as la liste ?

— Dix-sept aspirants me semblent convenir.

— Loyaux sans être aveugles, résuma Nom Anor, des gens qui réfléchissent vite mais pas trop intelligents tout de même. C’est ça ?

— Oui, maître.

— Fais-les venir. Le plus tôt sera le mieux, car la puanteur de ces lieux me pèse.

— Ils seront là demain, maître, promit Shoon-mi en s’inclinant.

Il fit mine de partir mais, d’un geste, Nom Anor l’arrêta.

— Shoon-mi, je n’aurais pas pu accomplir tout ça sans toi. Je voulais que tu le saches.

L’acolyte principal de Nom Anor rayonnait de fierté en quittant la salle. Le « Prophète » chassa son agacement. Dévoué et plein de ressources, cet imbécile lui était utile ! Par respect pour la mémoire de la sœur de Shoon-mi, Niiriit – une de ses premières fidèles –, Nom Anor résistait à l’envie de le tuer qui le prenait souvent. Mais il jugeait méprisable que Shoon-mi se dévoue autant pour de vulgaires louanges.

Kunra le dévisagea. Nom Anor le connaissait désormais assez pour se douter que l’ancien guerrier avait une idée derrière la tête.

— Qu’y a-t-il ?

— Mieux vaudrait que vous voyiez par vous-même.

Kunra guida Nom Anor dans la petite chambre où il dormait. Immobilisée par de la gelée blorash, une femelle en haillons, un bleu sur la joue, lui jeta un regard plein de défi.

— Elle avait ça sur elle, dit Kunra.

Il montra à Nom Anor les restes d’une créature – une larve écrasée ?

Nom Anor en avait souvent vu. Un villip…

L’espionne avait visiblement voulu l’introduire dans la salle pour que quelqu’un, très loin de là, puisse voir le Prophète en action… Ce n’était pas forcément un signe de trahison : certains acolytes avaient tenté de répandre le Message par l’intermédiaire des villips. Mais Nom Anor ne pouvait pas courir ce risque.

— Shoon-mi est-il au courant ?

— Non. J’ai contrôlé les acolytes avant qu’ils ne se présentent devant lui.

Nom Anor hocha la tête. Voilà qui lui faciliterait les choses.

— Je veux le nom de la personne à qui appartient le villip-maître. Débrouille-toi pour découvrir ce qu’elle sait sur nous, puis achève-la.

Kunra ne discuta pas.

— Je comprends.

— J’expliquerai à Shoon-mi que nous devrons changer une fois de plus de local.

— Il sera contrarié.

— Je suis sûr qu’il préférera ça à la mort !

Sans un autre regard pour la prisonnière condamnée, le Prophète quitta la chambre.

L'HéŽréŽtique de la Force T2 - Les Réfugiés
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